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  • : Le Massacre
  • : " On a qu'à appeler ça Le Massacre alors. " Mickaël Zielinski, Nicolas Lozzi, mai 2009.
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23 janvier 2014 4 23 /01 /janvier /2014 17:31

Aujourd'hui notre fournée sera établie selon un axe essentiel : l'axe d'Angoulême, inévitable, vous verrez que j'ai fait un effort pour lire un certain nombre des titres en compétition. Mais pas tout, je suis pas fou non plus. J'apprends d'ailleurs à l'instant même que je n'ai lu aucune des BD primées ; je rappelle brièvement que Come Prima est Fauve d'or, que je n'en pense rien pour ne pas m'y être intéressé jusqu'alors, et que le Grand Prix du festival revient au géant Bill Waterson (auteur de Calvin & Hobbes), qui était en compétition avec deux monstres, Alan Moore (Watchmen, Ligue des gentlemen extraordinaires, V pour Vendetta) et Katusuhiro Otomo (Akira), soit une sorte de pannel de mes artistes préférés en BD.

 

Je vous renvoie ici pour plus d'infos.

 

Tout de suite, la fournée.

 

(ne faites pas attention aux espaces entre les petits losanges de notation : la mise en page de overblog déconne à pleins tubes, et je ne sais pas comment résoudre ça)

 

 

The Angoulême deck :

 

 

 

http://www.franceinter.fr/sites/default/files/imagecache/scald_image_max_size/2013/03/28/598412/images/couv_9782849531075_grande.jpg

Ainsi se tut Zarathoustra de Nicolas Wild (La Boîte à Bulles)() : je vous en ai déjà parlé ici donc nul besoin que j'y revienne. C'était de la BD à caractère surtout informatif qui ne m'intéresse pas plus que ça. Passons.

 

 

 

http://www.planetebd.com/dynamicImages/album/cover/large/20/52/album-cover-large-20528.jpg

Le Chien qui louche de Etienne Davodeau (Futuropolis)() : C'était mon premier Davodeau, hors feuilletage des Ignorants, et tout ce que je craignais s'est confirmé : le dessin académiquement correct, juste assez arty pour provoquer la sudation d'un critique Télérama, masque une petite histoire de petites gens dont on a rien à foutre. L'honneur est sauf pour la bande dessinée puisqu'on la rapproche paresseusement au monde des Beaux-Arts grâce à l'omniprésence du musée du Louvre. Cela n'enlève rien à l'agréable fluidité de la lecture, mais il est tellement transparent que cette BD est un produit d'appel pour attirer le lectorat bobo dans le séquentiel que c'en est pénible d'avance.

 

 

 

http://www.planetebd.com/dynamicImages/album/cover/large/21/49/album-cover-large-21494.jpg

Goggles de Tetsuya Toyoda (Ki-oon)( ) : Ah  voilà par contre une belle surprise ! D'un auteur que je ne connaissais pas, et dans une maison d'édition qui propose souvent du seinen de qualité, mais pas du tout dans ce registre-là. Goggles, ce sont des historiettes anecdotiques d'un Japon rural à l'épopue suspendue (au moins années 1960 dirons-nous). Il n'y a pas grand chose à en dire, si ce n'est que la narration est bien construite est très fluide, au service de petits scenarii malins sans prétentions démesurées. Une heure de baume.

 

 

 

http://cannibaleslecteurs.files.wordpress.com/2014/01/god.jpg

In God we trust de Winshluss (Les Requins marteaux)( ) : Comment être totalement objectif à propos de Winshluss ? Cet auteur qui, généreux et salvateur, offrit un beau jour  Pinocchio au monde. Il nous revient après quelques années d'inactivité, ou alors j'avais pas vu, avec un nouvel opus bien bossé, un peu classieux (couverture cartonnée avec motifs dorés, tout ça...), très rigolo mais clairement sans prétentions par rapport à son chef d'oeuvre. C'est d'ailleurs peut-être mieux ainsi. Or donc, un peu dans le même registre que le Le Chat/Geluck de ce Noël, Winshluss revisite avec humour l'Ancien et le Nouveau Testament. C'est rarement lourdingue, constamment iconoclaste, trashouille sur les bords, cela peut éventuellement rendre susceptible quelques personnes de votre entourage. Mais soyons clair, c'est du plaisir simple et régressif servi par une patte toujours virtuose.

 

 

 

 

http://bd.casterman.com/docs/Albums/43307/9782203047730.jpg

Last Man (T1) de Bastien Vivès, Balak & Sanlaville (Casterman)( ) : Là aussi on en a déjà parlé (ici), c'est du manga de baston/fantasy/Dragon Ball français et excellent par un des jeunes auteurs les plus intéressants des dernières années, alors hein, quoi, on va pas en tartiner plus...

 

 

 

http://www.cineheroes.net/chuploads/2013/03/saga-review-comics.jpg

Saga (T1) de Vaughan & Staples (Urban Comics)(  ) : Je dois avouer avoir été soufflé par le premier tome. C'est en un sens du space op', avec cette façon de mêler science-fiction à planètes/galaxies et fantasy délurée aux créatures et chimères improbables. Mais on y retrouve tout à la fois des accents de fantasy pure, de fantastique gothique, de destinée flamboyante... Enfin bref, sans y ressembler une seconde, c'est du Star Wars dans tous ses ingrédients et caractéristiques. Le dessin est superbe, à la fois fin et sauvage, le scénario pose des bases intéressantes même si les dialogues ne sont pas la plus grande réussite de l'ensemble. Si leurs Batman et Superman à la chaîne me laissent froid et sont souvent laids, j'adore Urban Comics quand ils sont capables de nous traduire ces indés américains qui sortent de l'ordinaire (j'avais eu un semblable coup de coeur pour une autre BD récemment qui s'appelle Battling Boy de Paul Pope, je vous la recommande aussi). Ils l'avaient aussi fait pour Daytripper l'an dernier. Et si l'on en croit le titre mais aussi certaines interviews de Brian Vaughan, méfiance, c'est parti pour être une loooooongue série

 

 

 

http://www.bedetheque.com/media/Couvertures/Couv_198620.jpg

Battling Boy (T1) de Paul Pope (Urban Comics)( ) : Eh ben en fait elle était également nominée pour Angoulême, j'avais même pas vu ! Bon donc pas grand chose à rajouter, le dessin tremblé aux couleurs maussades et verdâtres n'est pas facile à aborder, mais ça dégage une belle âpreté, quelque chose d'un peu plus radical et viscéral que Saga.

 

 

 

http://img.manga-sanctuary.com/big/space-brothers-manga-volume-1-simple-72581.jpg

Space Brothers (T1) de Chûya Koyama (Pika)( ) : C'est un joli petit seinen de type "relations humaines" (pas vraiment de gros monstre libidineux ou de dark fantasy berserkienne là-dedans). Deux frangins voient un OVNI étant gamins et ils développent une passion pour l'astronautique. Plus tard, le plus jeune a réussi à percer et va effectuer son premier vol spatial, tandis que son grand frère est un petit branleur dans la passion est restée un fantasme. On sent un peu arriver la valise à émotions faciles, mais en fait, du moins dans ce premier tome, s'il n'y a rien d'extraordinaire dans le dessin ni le découpage, l'attachement aux personnages est assez immédiat et le scénario offre certaines promesses de développements intéressants.

 

 

 

Voilà ce que j'ai lu comme BD sélectionnées à Angoulême. C'est bien peu comparé à l'étendue de la sélection, mais relativement varié et représentatif. Bon, pour être complet, j'ai également parcouru Macanudo (tome 4) de l'Argentin Liniers, du comic strip à personnages variables, coloré et surréaliste : intuitvement, c'est une des meilleures en qualité, mais rien de neuf si vous avez déjà lu les trois autres volumes, tout ce que fait ce mec est admirable. Également parcouru Cowboy Henk de Herr Seele, le fameux héros néerlandais, version, là encore surréaliste, de Tintin, tout en ligne claire et gros humour absurde (a gagné le Prix du Patrimoine). J'ai lu aussi la grosse moitié de Tyler Cross (Nury et Brunö) dont je ne parlerai pas plus que ça car Prix de la BD Fnac, ce qui me saoule par avance. Mais alors attention : c'est de l'excellente BD, peut-être la meilleure de la sélection, un thriller en magnifique ligne claire aux dialogues ciselés, à mon sens un classique instantané. Par contre, j'ai aussi tenté de lire les premières planches de Charly 9 (Richard Guérineau), adapté du roman éponyme de Jean Teulé. Autant le roman m'a longtemps tenté, autant là on est typiquement face à l'adaptation roman>BD qui n'a aucun sens : les cases sont bourrées de texte, l'action est figée par le découpage, le dessin n'est pas beau. Bref, à nuancer parce que j'ai lu un tout petit bout de la chose, mais a priori sans intérêt.

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16 janvier 2014 4 16 /01 /janvier /2014 10:37

Salut les aminches, je ne vous souhaite pas la bonne année, ça c'est réservé aux gentils blogs tandis que le mien, bon ben vous avez qu'à lire son nom si vous comprenez pas.

 

Constatez-vous depuis quelques mois que je parle de plus en plus rarement de BD ? Oui ? Non ? Vous vous en foutez ? Bon, en fait, ce n'est pas parce que j'en lis pas en ce moment. C'est parce que j'en lis beaucoup. La plupart du temps, au boulot, pendant ma pose, dans la réserve de la librairie (que l'on appelle pré-stock dans notre jargon, mais ça veut dire pareil), je me munis au préalable d'un art séquentiel portable que je consomme dans les vingt minutes imparties. Du coup, j'en lis parfois une dizaine par semaine et c'est trop long de faire un article pour chaque. Pour autant, je trouve que c'est gâché de pas en parler. C'est pourquoi j'ai eu l'idée de courts paragraphes passionnants et drôles qui pourront peut-être vous orienter dans vos envies ou, plus souvent, vous décourager de dépenser du temps et de l'argent pour des bouses innommables. Ainsi donc.

 

 

 

http://www.babelio.com/couv/cvt_The-end-of-the-fucking-world_4169.jpeg

The End of the fucking world de Charles Forsman (L'employé du moi) () : Une petite BD indé américaine volontiers trashouille avec une violence d'autant plus malsaine qu'elle tranche avec un dessin minimaliste en noir et blanc. Le scénario ressemble à peu près à celui de Sailor et Lula, et même si l'aspect général n'est pas franchement ce qui me fait le plus saliver, j'y ai retrouvé certains accents d'Adrian Tomine ou même de l'Islandais Dagsson qui me fascinent un peu. Ca tient sans doute au contraste déjà évoqué, à cette manière de malmener les corps de personnages paumés et d'installer un rire oblique plaqué sur le drame.

 

http://www.bedetheque.com/media/Couvertures/Couv_203390.jpg

Soufflevent (T1) de Andoryss & Colette (Delcourt)( ) : Une sorte de steampunk fortement influencé par La Croisée des Mondes de Pullman et sans doute beaucoup Miyazaki. La réalisation n'est pas trop dégueulasse mais le scénario est bateau et le conglomérat de personnages archi-rebattus ennuyeux au possible. Pas lu entier d'ailleurs.

 

 

http://www.bedetheque.com/media/Couvertures/GuideDeLaSurvieEnEntreprise_13052005.jpg

Le Guide de la survie en entreprise de Manu Larcenet (Fluie Glacial)( ) : Bon là sans surprise c'est un régal. Je n'avais jamais lu ce volume de Larcenet, qui fait partie de la branche purement humoristique de son boulot. Ca prend la forme de gags en deux ou trois planches toujours extrêmement drôles et bien foutues qui établissent un parallèle (facile, mais c'est voulu) entre le monde de l'entreprise et la jungle sauvage. J'ai trouvé ça franchement plus marrant que son Robin des bois et autres séries courtes de type Nic Omouk déjà lues par ailleurs.

 

 

http://p9.storage.canalblog.com/99/05/238754/91611076_o.jpg

Les Campbell (T1) de Munuera (Dupuis)( ) : Aventure, piraterie, et, voilà l'originalité du titre, vie de famille à tendance humoristique. Une sorte de croisement entre Le Scorpion et Les Sisters, et arrêtons là les comparaisons foireuses. C'est d'un classicisme outrancier, et j'ai tout oublié aussitôt après l'avoir lu (du moins, la moitié, suis pas allé plus loin). Dessin correct, scénario correct, un mauvais libraire vous dirait de filer ça à vos gosses.

 

 

http://montenlair.files.wordpress.com/2013/10/hp1.jpg

HP (T2) de Lisa Mandel (L'Association)() : En remplissant rigoureusement le cahier des charges de L'Assoc' (noir et blanc, dessin minimal, fluidité narrative) Lisa Mandel provoque une belle empathie avec cette chronique du milieu hospitalier psychiatriques des années 1970, alors en pleine mutation. Les saynettes sont pour la plupart réussies et illustrent un propos lucide aux tonalités variées : cela peut tour à tour être léger, dramatique, informatif, explicatif... Ajoutez à ça que le sujet m'intéresse, bon, ben voilà une charmante découverte qui me pousse à me procurer le premier volume.

 

 

http://www.bedetheque.com/media/Couvertures/199818_c.jpg

Naguère les étoiles (intégrale) de Bourhis et Spiessert (Delcourt)( ) : Voilà un gros pavé de parodie de Star Wars dont je n'ai pas tout lu car c'est trop épais. Tout l'humour de la chose consiste à transposer l'univers space opera dans le décors voisin de la fantasy médiévale. Même s'il y a des passages lourds et des jeux de mots pas toujours heureux (et je suis pourtant bon public de la chose), la bonne humeur générale incite à parcourir le volume, à y piocher pour trouver comment ont été parodiées certaines scènes emblématiques ; du coup c'est une BD, on va dire, de bonne compagnie.

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17 juin 2013 1 17 /06 /juin /2013 09:40

http://www.anglesdevue.com/rubriqueabrac/wp-content/uploads/2013/05/Fables-Psychiatriques-Darryl-Cunningham.jpg

 

 

 

Technique 

Esthétique 

Emotion 

Intellect   

 

 

 

 

D'abord des sciences neurologiques avec les Fables psychiatriques de Darryl Cunningham (éditions Ca et là). Après des Fables scientifiques (que je ne vais pas tarder à lire) qui avaient pour principe de balayer quelques idées reçues sur des croyances populaires relatives aux sciences dures, l'Anglais livre ici une BD d'autant plus personnelle qu'il a été longtemps aide-soignant en hôpital psy et lui-même anxieux et dépressif. Je ne vais pas m'étendre plus que de raison sur ma vie personnelle, mais disons que c'est un sujet qui me touche particulièrement ces temps-ci.

J'adore le traitement graphique utilisé par Cunningham pour dépeindre ces thématiques diverses qui sont autant de chapitres (démence, troubles de la personnalité, schizophrénie, bipolarité, etc.) : noir et blanc sur gaufriers de six cases, dessin très lâché avec un trait, bien sûr, pas follement précis mais expressif, voire expressionniste, une sorte de Munch épuré, qui sied bien au sujet. On apprend des choses, on comprend la douleur des dysfonctionnements cérébraux et comportementaux. C'est déjà beaucoup. Mais la connaissance se double d'un savoir : en s'impliquant énormément dans le récit, l'auteur véhicule une émotion démente. Et ce qui aurait pu demeurer une belle illustration prend une dimension nettement supérieure grâce au sentiment. Par ailleurs, il y a une vraie utilisation, même parcimonieuse et discrète, du langage séquentiel, autrement dit du découpage, de la mise en scène. Les cases ne restent jamais purement illustratives du discours.

 

 

 

 

http://www.arenes.fr/IMG/arton3111.jpg

 

 

 

Technique ♦♦

Esthétique ♦♦♦

Emotion ♦♦♦

Intellect   

 

 

 

 

On enchaîne avec, cette fois-ci, des sciences économiques. Economix (éd. Les Arènes) est véritablement un essai en BD. Cela aurait pu être un texte intitulé "Histoire de l'économie, d'Adam Smith à nos jours". Mais l'Américain Michael Goodwin, en désirant mettre des mécanismes complexes à la portée du plus grand nombre, a jugé que le meilleur moyen de faire oeuvre de vulgarisation serait de transformer l'aridité d'une documentation en une narration séquentielle.

Alors certes, les dessins de Dan Burr, contrairement à ceux de Darryl Cunningham décrits ci-avant, sont purement illustratifs. Mais en choisissant un style proche de la caricature de presse, il atteint le niveau de récit iconique souhaité. Le texte – clair et souvent drôle – prend le dessus sur l'image, mais cette dernière parvient à faire proprement son boulot en renforçant, schématisant, explicitant les informations et idées. Economix cherche à être un manuel de clarification des processus économiques. Il réussit pleinement son entreprise.

On pourrait discuter plus finement du fond : Goodwin est un libéral modéré anti-caîtaliste défenseur des économies mixtes (libre marché + contrôle étroit de l'État), ce qui n'a rien d'infamant, mais du coup il profite aussi de sa démonstration pour orienter la caricature dans le sens qui lui convient. Néanmoins, on se doit de reconnaître qu'il s'appuie sur des informations objectives (citations, chiffres et statistiques), qu'il n'hésite pas à présenter tous les aspects de chaque idéologie, positifs ou négatifs, qu'il n'occulte pas grand chose, y compris des systèmes marginaux et auto-fonctionnels. Alors évidemment, son point de vue est un peu mainstream à mon goût, rien à voir par exemple avec le tour de force intellectuel et artistique de La Survie de l'espèce, dont on a parlé il y a quelques mois. En tant que manuel, ce qui est sa fonction première, Economix est efficace et carré. Il met les choses à plat et peut servir de référence. C'est déjà beaucoup.

 

 

http://www.planetebd.com/dynamicImages/album/cover/large/20/12/album-cover-large-20123.jpg

 

 

 

Technique 

Esthétique 

Emotion 

Intellect   

 

 

Ensuite, des sciences dures : physique, chimie, biologie, mathématiques et tous ces trucs imbitables qu'on essayait de m'apprendre au lycée et que je regrette aujourd'hui de ne pas avoir écouté. Le Chercheur fantôme de Robin Cousin (éd. Flblb) est cette fois-ci une véritable fiction, un one-shot passionnant, simple et bien fait qui m'a procuré un grand bonheur de lecture. L'idée c'est que des scientifiques de pointe issus de domaines variés se retrouvent isolés dans un gigantesque complexe de laboratoires, en pleine nature, avec carte blanche pour mener à bien leurs recherches. Mais leurs comportements sont imprévisibles, et il semble que, bien des années après le début du projet, l'on se dirige vers un chaos inéluctable, d'autant qu'un chercheur introuvable aurait fait une découverte mathématique à même de chambouler la conception du monde.

Une vraie bonne histoire de sciences, quand c'est bien fait et pas trop difficile à appréhender, j'adore. Allez savoir si l'on peut ranger Le Chercheur fantôme dans la case de la science-fiction... pour ma part, je serais tenté de convoquer un francisisme, pour une fois, et parler de "fiction scientifique", comme au bon vieux temps. Le dessin est stylisé à mort, avec des gros traits et des grands à-plats de couleurs ombrés, mais les personnages restent tout à fait caractérisés malgré la pauvreté des détails. Toutefois, attention : c'est très beau la plupart du temps, et c'est bien la preuve qu'on peut faire du beau sans l'esthétique léchée des filtres Photoshop. Mais pas seulement : l'intrigue, qui s'apparente peu à peu à un thriller, est captivante et les idées scientifiques décrites provoquent ce fabuleux sense of wonder qui élargit le cerveau. À tous points de vue, c'est vraiment un régal.

 

 

 

http://www.ventsdouest.com/images/albums/9782749306865/9782749306865-L.jpg

 

 

 

Technique ♦♦♦

Esthétique ♦♦♦♦

Emotion ♦♦

Intellect  ♦♦♦ 

 

 

Enfin, de la science... fiction, avec cette nouvelle saga chez Soleil, parfaite pour se délasser une demi-heure sur sa terrasse. Une héroïne super bonasse, des dinosaures, des phallocrates en pagaille, des tirs au fusil. C'est pour le moins récréatif. L'idée c'est que dans un ranch qu'on suppose américain, un connard d'entrepreneur exploite des filles en tant que danseuses de charme ou plus si affinités tout en distrayant les gusses du coin par des joutes entre chevaucheurs de dinos (comment les terrible lézards ont-ils pu être ramenés du fond des âges, nous ne le savons pas encore). La plus brillante danseuse, Albatra, se trouve être également la plus bandante et la plus farouche. Elle se fout dans le pétrin et provoque une guerre des sexes qui l'obligera à devoir prouver aux détenteurs de corones que les ovaires contiennent au moins autant de testostérone.

 

Alors oui, le dessin est parfois navrant (proportions des personnages en mouvement, joliesse des dinosaures, lissage des décors...), oui la mise en scène est pire (surtout les scènes d'action), oui la complaisance est omniprésente, mais on retrouve dans Lady Rex cette forme décontraction, cette capacité à anticiper les attentes cortexales des cerveaux primaires, qui la rend réjouissante. On est proche – toute proportion gardée au niveau qualitatif – de cette fragile violence de la furie féminine exposée dans des films comme le Boulevard de la mort de Tarantino ou le Sucker Punch de Zack Snyder. Facultatif mais consommable, en somme.

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2 mai 2013 4 02 /05 /mai /2013 10:34

Je me remets à emprunter quelques BD et je ne passe pas ma vie à ne lire que du Tintin (bien que, vous le verrez un peu plus tard, je prépare un gros article sur la tintinophilie, j'y reviendrai... dans quelques semaines). Ci-après, donc, du Canadien et de l'Italien, deux fois n'est pas coutume.

 

 

http://www.du9.org/wp-content/uploads/2012/09/23-prostituées--single.jpg

 

 

Technique 

Esthétique ♦♦

Emotion 

Intellect  ♦♦

 

 

On (et sous ce "on" générique se dissimule l'incroyable Jef) m'avait dépeint Vingt-trois prostituées (Cornelius, 2012 [2011]) de Chester Brown comme la bande dessinée de l'année passée. Il se trouve, pour des raisons obscures et par trop complexes pour les esprits fatigués que vous êtes, que j'en ai reçu quelques exemplaires dans ma librairie. C'était là l'occasion rêvée de découvrir ce joyau à la couverture élégante qui pose immédiatement le contexte : on y voit une femme légèrement vêtue d'une nuisette blanche accompagner le départ du personnage principal, l'auteur lui-même (puisque ce roman graphique est aussi autobio), et plus important encore, la scène est cernée d'un halo à rayons circulaire, comme un spot qui éclaire un temps et un lieu précis.

 

Ce halo omniprésent dans toute l'oeuvre est ce que j'ai trouvé de plus beau dans 23 prostituées. Il faut d'abord expliquer brièvement l'histoire : Chester Brown, dessinateur de BD au visage squelettique, bientôt quarante ans, se sépare de sa compagne en 1996. Il élabore une conception inhabituelle de l'amour romantique (perçu alors comme superflu, clivant, carcéral). Quelques années plus tard, il commence à avoir des relations sexuelles tarifées et y trouve pleine satisfaction, y compris morale, ce qui ne va pas sans faire naître un certain scepticisme chez ses proches. L'histoire qui nous est racontée est structurée par sa rencontre avec les 23 escort girls qui vont jalonner sa vie pendant une dizaine d'années, jusqu'à aujourd'hui.

 

Il y a clairement deux types de cases dans ces perpétuels gaufriers de huit par planches, immuables : les cases avec halo, et les cases sans. Ces dernières rendent compte de passages classiques, souvent dialogués entre le personnage principal et un comparse, et donnent au lecteur les informations nécessaires à l'avancée du récit. Les cases avec halo, du moins est-ce mon point de vue, représentent les souvenirs vivaces de Chester Brown, les impressions fortes, et il faut alors bien regarder comment est positionné son avatar dans la case pour saisir la prégnance du moment : lors des scènes de sexe par exemple (qui sont absolument toutes "avec halo"), les deux personnages en pleine fornication sont vus en plongée et de biais, comme d'un coin de plafond, et tout décor est effacé au profit des deux corps qui s'agitent. Ce sont des moments d'oubli, de sensations diffuses. La proximité, le placement et l'intensité du halo conditionnent la diffusion de l'émotion dans toute l'oeuvre. C'est remarquablement bien fait.

 

Pour autant, j'ai été un peu gonflé par le côté réquisitoire du volume. Une longue postface insiste sur la nécessité de décriminaliser la prostitution, et de nombreux dialogues dans l'histoire s'attardent également sur cet aspect légal. Autant l'approche émotionnelle m'a comblé de sa finesse, autant ce retour systématique du plaidoyer m'a un peu fatigué (peu importe d'ailleurs mon opinion sur la question, qui est très proche de celle de Brown, c'est l'inclusion trop lourde d'une opinion dans et hors la diégèse qui m'agace). Pour le reste, je n'ai rien à dire, encore une BD remarquable publiée chez Cornélius, c'est pas la première et pas la dernière. Et pourtant, les indés américains, moi, d'habitude, hein...

 

 

http://www.laprocure.com/cache/couvertures/9782809428629.jpg

 

 

Bon, et maintenant une rareté, de la BD italienne. Si comme moi "BD italienne" vous fait tout de suite penser à Manara et Pratt sur des nuages paradisiaques d'un côté et Tex sur un océan de merde de l'autre, rangez vos pelles. Il y a donc du séquentielle populaire de qualité chez nos amis d'outre-dolomites. Dylan Dog (Panini, 2013) est une série sur un détective de l'étrange londonien, très réputée en Italie ; dessinateurs et scénaristes se succèdent pour lui offrir de nouvelles aventures selon une logique feuilletonesque depuis 1986.

 

Secondé par un avatar très rigolo de Groucho Marx, Dylan Dog est un personnage classique mais attachant qu'on apprend à connaître en trois pages et demi : courageux, alcoolique, spécialiste du paranormal et des univers parallèles, minutieusement mal fringué d'une veste noire sur chemise rouge. Sur les quatre histoires qui composent le recueil, on a un futur dystopique zombiesque inspiré de Romero, mais avec une chute très rigolote, deux épisodes dickiens avec perte des repères de la réalité qui sont largement les plus réussis, puis un récit ésotérique qui va puiser du côté des cultes celtiques sacrificiels. Tout ça est toujours saupoudré d'humour, d'étrange juste ce qu'il faut, et évidemment la qualité est aussi variable que les auteurs, tant niveau dessin que construction scénaristique. Vous l'aurez compris, l'intérêt réside dans le pastiche, et de ce côté-là il y a toujours une petite variation intéressante ou drôle par rapport à la source d'inspiration. Le concept n'est pas sans évoquer les revues américaines Creepy et Eerie dont on a déjà parlé, en bien, ici, mais avec, évidemment, des références plus contemporaines. Il est à noter néanmoins que le recueil concocté par Panini est un peu court et le choix des histoires un peu balancé au hasard pour pleinement convaincre et/ou faire découvrir au mieux le personnage.

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22 mars 2013 5 22 /03 /mars /2013 11:25

http://multimedia.fnac.com/multimedia/FR/Images_Produits/FR/fnac.com/Visual_Principal_340/5/7/0/9782849531075.jpg

 

 

 

Technique ♦♦♦

Esthétique ♦♦♦

Emotion ♦♦♦

Intellect  ♦♦

 

 

 

 

Comme je suis libraire de bandes dessinées, des éditeurs me font souvent et gentiment parvenir des parutions futures. Parfois, ils tapent étonnamment juste et me font découvrir des chefs d'oeuvre à pas de frais. D'autres fois, ils ont la main moins heureuse et nourrissent mes dégoûts. La Boîte à bulles m'a donc envoyé, un peu au hasard, Ainsi se tut Zarathoustra de Nicolas Wild. Je ne peux pas leur en vouloir. La Boîte à bulles, en général, ce qu'ils font ça ne m'intéresse pas, sauf un truc et non des moindres, c'est L'Ours Barnabé de Philippe Coudray, une BD qui, et là je faire mon Télérama, devrait être donnée à lire dans toutes les écoles. Mais bon, le truc de Nicolas Wild, par contre, non.

 

Nicolas Wild a le même prénom que moi mais c'est à peu près tout ce qui nous réunit. Dans sa BD, il choisit un modus operandi horrible, à mi-chemin entre mes plus grandes agonies de lecteur séquentiel, à savoir l'auto-mise en scène globe-trotteuse d'un Guy Delisle et l'hagiographie affreusement scolaire de Logicomix. Pour être plus précis, il raconte sa découverte de l'illustre religion zoroastrienne, dont le plus célèbre fidèle fut le grand roi perse Cyrus II. C'est l'occasion pour lui de faire un tour en Iran (notamment), en compagnie de la famille et des proches du défunt Cyrus Yazdani, plus fervent défenseur mondial du zoroastrisme, assassiné en Suisse en 2009.

 

Pour ce que cette religion puisse avoir d'intéressant (une des premières religions monothéistes, qui grâce à Cyrus produit une sorte de Déclaration des droits de l'homme avant l'heure, avec une orientation morale plutôt sympathique, qui fut par la suite balayée par l'islam, etc.) elle reste une religion et occupe le centre du propos dans Ainsi se tut... Ceux qui me connaissent le mieux savent le problème que j'ai avec le religion. Je ne peux pas m'empêcher de considérer toute croyance religieuse comme un fanatisme. Et j'ai aussi beaucoup de problèmes – liés pour la plupart à une sorte de panique – avec le fanatisme. Le zoroastrisme peut donc être aussi gentil/légitime/profond qu'il le veut, Cyrus Yazdani de même, cela reste un fanatisme. À la base, tout cela m'intéresse donc peu.

 

Mais histoire d'en rajouter une couche, la manière de Nicolas Wild, vous l'avez compris, c'est à peu près rigoureusement tout ce qui peut me sortir par les yeux en terme de modus operandi séquentiel. Histoire de faire des rapprochements foireux mais qui, je n'y peux rien, me sont venus à l'esprit, Ainsi se tut... n'a ni le découpage sensationnel d'Habibi, ni la tonalité aigre-douce de Persepolis, ni même — ça me fait mal de le dire — le didactisme à peu près clair de Logicomix. C'est désespérément démonstratif, déclaratif, découpé en gaufriers de neuf cases la plupart du temps, mal organisé au niveau de la structure du récit, et pas beau. Wild tente bien d'équilibrer trois éléments dans son histoires : le déroulement en "présent narratif" du récit, les flashbacks sur la vie de Yazdani et les épisodes mythologiques sur Zarathoustra (ah oui, au passage, c'est le prophète du zoroastrisme, réutilisé comme on le sait par Nietzsche), mais à la limite seul le troisième était susceptible de me captiver quelque peu (pour sa valeur mythologique bien sûr et non pas spirituelle), et comme on pouvait s'y attendre les deux premiers, voire seul le premier, prennent largement le dessus.

 

Bref, pas ou peu de mise en scène, pas ou peu de beau, pas ou peu d'émotion. Reste, et c'est très peu à mon goût, une BD par moments intéressante.

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31 janvier 2013 4 31 /01 /janvier /2013 21:00

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Technique 

Esthétique 

Emotion ♦♦

Intellect  

 

 

 

On parle encore brièvement de deux BD ce soir. D'abord, je me suis fait un petit plaisir en m'offrant l'intégrale de La Ligue des gentlemen extraordinaires, scénarisé par le grand Alan Moore et dessiné, plutôt bien, par un certain Kevin O'Neill. En fait d'intégrale, je le précise, je pense qu'on a là seulement les deux premiers volumes, du moins le crois-je car c'est très mal expliqué à l'intérieur, mais je sais en tout cas qu'il y a eu plus d'aventures que cela pour les gentlemen, publiées chez Delcourt. Le terme "intégrale" est donc pour le moins fallacieux. On trouve en plus d'assez longs textes d'Alan Moore : une longue nouvelle, que j'ai laissé tomber rapidement, à la fin du premier tome ; et un amusant carnet de voyage des endroits bizarres du monde, découpé par continents, à la fin du second.

 

Le dessin est assez plaisant, je l'ai dit, réaliste mais susceptible de petites fuites stylistiques du meilleur effet. La colorisation, par Benedict Dimagmaliw, est très belle également, davantage dans les tons champêtres, ocres-bruns ou pétaradants que dans les phases sombres un peu plus quelconques. La réalisation est sobre et travaillée : la base reste un gauffrier de neuf cases à l'échelle de plans sage, plutôt rapprochée, mais sporadiquement, des bandes, des cases en une demi-page voire une page entière viennent dynamiser le récit.

 

Mais je m'emballe, je m'emballe, et j'oublie de parler du début : de quoi que ça parle. Ca tombe bien, c'est aussi l'intérêt de la série. Donc pour ceux qui savent pas : l'idée est de rassembler quelques personnages classiques de la littérature fantastique britannique du XIXe siècle – voire des personnages diégétiquement de nationalité britannique, puisque le capitaine Nemo, par exemple, est la création d'un Français, Jules Verne, mais il est indien colonisé dans 20 000 lieues sous les mers – et de leur faire affronter diverses péripéties incroyables comme s'ils avaient réellement existé dans le vrai monde.  En somme, la fiction référentielle, comme on peut l'appeler, consiste à laisser cohabiter les fictions de plusieurs oeuvres célèbres (ou moins), et surtout leurs personnages, dans un passé fantasmé. Dans le cas présent, on en profite pour fabriquer une ligue de super-héros aux compétences qui sont autant de monstruosités aussi antagonistes que complémentaires. À la lecture, ça peut être particulièrement jouissif, les croisements permettant d'imaginer des situations hallucinantes : ainsi en est-il de l'invasion martienne du second tome (meilleur que le premier au niveau scénario, ai-je trouvé, mais un dessin trop carré, moins "fuyant") qui entrelace joyeusement La Guerre des mondes d'H. G. Wells avec l'Angleterre victorienne et met des icônes tels Dr Jekill/Mr Hyde, Nemo, le Dr Moreau ou Mycroft Holmes aux prises avec une science-fiction catastrophiste. Et qui trahit la ligue pour s'allier aux tripodes ? Un autre personnage de Wells bien sûr... l'homme invisible. Moore en profite même pour apporter des éclairages complémentaires aux oeuvres qui servent de référence ; ainsi, on aura une explication à la chute des Martiens différente et encore plus tordue que dans La Guerre des mondes elle-même. Ajoutons à cela que les personnages sont très sensiblement fabriqués, en profondeur. Jouissif, je vous dis.

 

Néanmoins, je ne peux m'empêcher de faire un comparatif avec La Brigade Chimérique, qui fut une de mes grandes lectures BD de 2012 et présente de très nombreux points communs avec La Ligue des gentlemen. Serge Lehman, d'ailleurs, ne s'était pas caché en postface de reconnaître à Alan Moore une certaine paternité. Mais à ce petit jeu, La Brigade s'en sort mieux, parce que si La Ligue reste un exercice, certes très réussi, mais "simplement ludique" si je puis dire, autant La Brigade chimérique dépasse la simple somme de péripéties pour aborder la question, justement, de la postérité. On peut se mettre à la place de l'auteur : à partir de quel degré de notoriété puis-je intégrer un univers diégétique à ma fiction référentielle ? L'homme invisible, Mr Hyde, Nemo, sont-ils suffisamment universels, archétypaux, pour faire saisir au lecteur leur importance ? Dans les faits, cela fonctionne sans trop de problème du moment que l'on connaît, même vaguement, la source de la référence. Mais Lehman, à mon sens, fait plus fort (oui Serge si tu me lis, tu es plus fort qu'Alan Moore !). Il se sert précisément du manque de notoriété des héros qu'il invoque (le Nyctalope, brièvement évoqué d'ailleurs dans La Ligue, le Passe-muraille, Gregor Samsa, Harry Dickson, et même des personnages historiques comme Irène Joliot-Curie ou George Spad) pour poser la question de l'oubli artistique et littéraire. Ce qui est raconté dans La Brigade, c'est la fin des super-héros européens, ne l'oublions pas. Serge Lehman a fait le pari fou, et sublimement exécuté, de faire une fiction référentielle en s'affranchissant du fondement de ce genre : la connaissance mutuelle et préalable par le lecteur. Il parle du rendez-vous manqué de la France avec ses génies de SF. Pour ça, chapeau. Mais je ne peux, néanmoins, que vous recommander La Ligue, qui remplit pleinement son office avec simplement une moins grandiose ambition intellectuelle.

 

 

 

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Technique ♦♦

Esthétique 

Emotion ♦♦

Intellect  

 

Ensuite, je me targue d'avoir lu en avant-première mondiale Last Man, la nouvelle BD de Bastien Vivès, auteur adoré du Massacre, on en a parlé , qui ne sortira qu'en avril. C'est une sorte de manga, mais pas japonais, donc c'est pas un manga ; et c'est en grand format, genre les intégrales chez Kana. Il coécrit ça avec des messieurs qui s'appellent Balak et Sanlaville, et je n'ai pas bien compris qui fait quoi là-dedans puisque Vivès est crédité aux "couleurs", alors qu'il n'y en a presque pas et qu'on reconnaît parfaitement son trait inimitable, ce trait expressionniste, déformé avec des gros pâtés de noir. C'est pas beau, pas texturé, mais hyper expressif.

 

Les deux autres viennent de l'animation ils ont donc peut-être bossé sur le cadre. Si le découpage est souvent assez classique, les cases n'obliquant un peu que dans les scènes de baston, l'échelle de plans est effectivement fort bien foutue, puisant dans l'efficacité émotionnelle du manga. Vivès, donc, excelle toujours autant dans deux choses : 1) le trait déjà évoqué ; 2) les à-plats de gris qui viennent compléter le noir et blanc avec beaucoup de justesse, comme dans Polina.

 

Ah au fait, ça se passe dans un monde médiéval-fantastique. Dans un village paisible, un gamin, Adrian, fils d'une jolie boulangère, va disputer un tournoi de combats par équipes de deux et s'en fait une joie – bien qu'il ne soit pas très doué – mais un étranger aux propos bizarres tombe fort à propos pour s'inscrire avec lui et étonne les observateurs par un style tonique, pour ne pas dire brutal, mais très efficace. C'est très drôle de voir Richard, ce personnage massif, beau gosse, grossier, débarquer parmi les conventions fluettes du monde d'Adrian. Encore plus drôle de constater qu'il vient en fait de notre monde contemporain, du moins on le suppose, de le voir demander où il peut acheter des clopes à des passants ahuris. Le décalage de langage est le plus savoureux : les compatriotes d'Adrian n'ont pas le parler ridiculement passéiste qu'on voit dans bien des fictions médiévales, mais le langage de Richard est une véritable floraison de tournures françaises modernes, très drôles et complètement anachroniques, ça va sans dire. Vous aurez sans doute compris que lire Last Man a été un grand plaisir. C'est le croisement des strips humoristiques de Vivès, si crus, si cruels, si horriblement drôles, avec un shonen de fantasy hyper classique pure souche. Vivès, enfant de Saint Seiya et de Calvin et Hobbes, prend son pied. Moi aussi. Mais j'en ai trop peu lu pour vraiment me faire une idée. J'ai envie d'une suite, bon, c'est déjà pas mal. Et je trancherai plus vivement une fois que je l'aurai lue.

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27 janvier 2013 7 27 /01 /janvier /2013 11:53

J'estime avoir beaucoup de chance dans la vie. Celle d'avoir des amis formidables. Une compagne éblouissante. Une famille tolérante. Un bon goût universel en matière de chose artistique. Mais surtout j'ai un beau-papa amateur de BD. Joie rare. Pourtant, c'était pas gagné dès le départ. Vous savez sans doute qu'il existe, chez les lecteurs de bande dessinée franco-belge, deux fratries adversaires : les tintinophiles et les spirouphiles. On ne peut pas être l'un et l'autre, c'est ainsi. Et avec beau-papa, cet homme subtil et délicat, qui me fait boire ses meilleurs whiskies, me prépare des tartes aux pommes, me rejoint dans les tréfonds de la nullité humoristique, ça aurait pu déraper en conflit armé. Je suis tintinophile, il est spirouphile. Il n'y a guère qu'un seul auteur, Franquin, qui parvienne à unir sporadiquement les deux camps. Pourtant, tout au long des dix dernières années, les échanges purent être cordiaux, fréquents et respectueux. Je lui fis (re)découvrir des trucs un peu anciens en lui offrant du Gotlib, du Mandryka, les grands fous de Hara Kiri, des choses un peu plus contemporaines aussi, de Leo Loden à Manu Larcenet en passant par Jul. Il m'a, lui aussi, déblayé de l'espace à coups de machette : Schuiten et Peters, tout Thorgal, Brétécher, et même quelques Spirou, j'ai pu les lire grâce à lui. C'est lui aussi qui a mis dans mes mains mon premier recueil de Little Nemo. C'est dire. Et l'autre jour, hier en fait, après avoir gravi les raides escaliers à tomettes qui m'amenaient dans le doux appartement beau-famillial pour une sombre histoire de courses, il crut bon de placer en mes menottes avides deux BD, deux découvertes supplémentaires dont je me dois de vous rendre compte ci-après.

 

 

 

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Technique 

Esthétique 

Emotion ♦♦

Intellect  

 

 

La Survie de l'espèce (Paul Jorion au scénario, Grégory Maklès au dessin, chez Futuropolis), qui a fait un peu parler il y a quelques mois, se lance dans l'exercice périlleux du décorticage du système capitaliste. Et de sa critique, bien entendu. En ne se départissant pas d'humour et même d'un certain optimisme dans sa conclusion. Ce qui étonne le plus, relativement à ce sujet un peu abordéy compris en BD mais pas tant que ça eu égard à son importance, c'est le soin accordé à la réalisation. Jorion et Maklès auraient pu faire le choix du strip uniformément cadré, ou encore de l'histoire illustrative, j'ai déjà pu voir l'un et l'autre cas, mais ils en font un autre, très pertinent. Ils proposent une fable satirique, aux personnages peu nombreux et allégoriques : le capitaliste représenté en bonhomme Monopoly, le trader en serial killer masqué, le patron en militaire haut-gradé, le quidam en Légo plastique. Ces figures se trouvent, du coup, déshumanisées et pourtant suffisamment nuancées (le capitaliste est désespérément aveuglé par la prétendue nécessité du système, le patron peut être agité de quelques remords, le quidam pressent être manipulé mais n'est pas assez intelligent ou trop obsédé par sa survie pour le théoriser) pour qu'ils demeurent crédibles. Seul le fils du capitaliste, présenté comme un ado idéaliste, a le statut de spectateur candide guidé par son épouvantable papa dans les rouages du fonctionnement économique. C'est par son biais que nous est exposée la mécanique. Du coup, il est le seul à arborer une apparence banale, dé-référencée, prototypale, du coup c'est à lui que nous nous identifions, plutôt qu'au salarié lambda dépassé par les machinations souterraines. La Survie de l'espèce s'adresse au lecteur désireux de comprendre, analyser et, pourquoi pas, agir. Il appelle à l'espoir plutôt qu'au constat stérile.

 

Aussi le soin accordé à la réalisation prend tout son sens. Avec des dessins noir et blanc aux textures soyeuses, la monochromie vert-billet de banque, une vraie échelle de plans qui confère à l'explication une valeur narrative, les auteurs prennent soin de ne pas se foutre de nous, contrairement au système qu'ils dénoncent. La finesse de la BD s'oppose à la brutalité du monarque capitalistique. Du reste, la dissection des principes absurdes de ce système, de son auto-renouvellement consanguin, de son anti-humanisme, m'a parue correcte et juste. On touche du doigt ce qui fait son danger : un système économique doit être un moyen et non pas une fin. Surtout pas une fin aussi inutile et injuste que l'accumulation de capital. En ce qui me concerne, cela revenait à prêcher un convaincu et, je le crois, quelqu'un qui a plus ou moins déjà compris l'énormité des procédés financiers en cours depuis deux siècles. Mais la mise à plat est salutaire, dirais-je. Surtout, les choix structurels et formels qui ont été faits pour élaborer La Survie de l'espèce sont pertinents. Être placé du point de vue de ce "1 %" (voire même, sans doute, ce "0,1 %") qui préside aux destinées du peuple et l'exploite à son (relatif) insu ne rend que plus absurde, plus abasourdissante, cette situation qui est une réalité. Il suffit ensuite d'éviter les écueils de la diabolisation outrancière, qui eut sonné trop propagandiste, du rangement sous une bannière politique – on évite fort heureusement toute publicité pour un parti, une association, que sais-je encore – on saupoudre d'humour et de satire, et on obtient une oeuvre remarquablement équilibrée.

 

 

 

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Technique 

Esthétique ♦♦♦

Emotion 

Intellect  ♦♦

 

 

Quelques mots ensuite sur Andy Capp, sympathique personnage que je ne connaissais pas du tout, découvert dans un volume tellement dégueulasse et au boulot éditorial si déplorable (par Charlie Hebdo, 1979) que j'ai été obligé d'aller glaner quelques informations complémentaires sur le net, ce que je n'aime pas faire. Du coup j'ai failli renoncer. Mais j'ai bien fait de pas.

 

Créé par l'Anglais Reg Smythe et apparemment très connu de par le vaste monde dans les années 1970 à 1980, mais sauf par moi, Andy Capp est un sale type, parasite social, chômeur, fainéant, alcoolique, passant sa vie au pub à jouer au billard et aux fléchettes, qui trompe sa femme nommée Flo, comme la mienne, mais cette dernière a beau le vomir par tous les pores, elle ne se décide pas à le foutre dehors pour de bon (un peu comme la mienne) tant il peut se révéler attachant autant qu'agaçant (un peu comme moi). Un gars super, quoi. Du plus pur style "chronique sociale à l'anglaise" (on devine que ça se passe à Londres). Dans ces strips noir et blanc en trois ou quatre cases, au dessin, comment dire, trèèèès stylisé et pas tellement superbe, traduit, euh, "approximativement", il y a pourtant suffisamment d'humour noir, d'extrémisme dans le comportement du personnage principal et de petits traits d'émotion, de tendresse qui se dégagent sporadiquement, que l'immersion fonctionne. J'ai très envie de dire : fonctionne "malgré tout", parce qu'au départ, ça a l'air tellement ingrat... mais on le sait bien, dans le strip, la qualité du découpage peut faire oublier le reste. Ca tombe bien, l'air de rien, la mise en scène est précise : malgré le faible nombre de décors utilisés (il y en a principalement trois : la rue, la maison avec centrage sur canapé, le pub), Smythe parvient à ménager des décalages et variations, par des personnages hors-cadre, des faux raccords volontaires, des retournements d'axes simples mais efficace sur une échelle de plans toujours très bien adaptée. Et dans tous les cas, la "tendresse vache" des dialogues, la réplique qui tue de dernière case, l'infini réservoir à saloperies du personnage principal, achèvent de nous faire rire.

 

J'apprends enfin grâce à wikipedia que la chanson Andy des Rita Mitsuko, c'est pour lui ! Comme quoi je ferais parfois mieux de faire quelques recherches avant de parler d'une oeuvre, ça me permettrait de systématiser ce genre de révélations fracassantes.

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11 décembre 2012 2 11 /12 /décembre /2012 11:26

Il peut arriver qu'un gentil monsieur vienne vous voir sur votre lieu de torture pour vous parler de sa passion, et du travail qui en résulte. Si vous êtes facteur, ça peut être un paisible revendeur de hakike. Si vous êtes garde-chasse, ça peut être un entomologiste tueur en série. Si, comme moi, vous êtes vendeur de produits culturels, ça peut être un éditeur détenteur d'un label (Delirium) aidé par une sympathique maison de BD (Ca et là) qui republie en français des classiques anglophones de l'art séquentiel ayant vu le jour dans les années 1960 à 1980. Si vous êtes un garçon (ou une fille, y a pas de raison) fort aimable, l'éditeur vous enverra tout ce qu'il a fait chez vous, dans votre maison, grâce au concours du facteur sus-cité, dans le seul but que vous vous en délectassiez (Le Massacre, je le rappelle, est le seul blog de la Toile où l'on peut lire des subjonctifs présent). Une pub copinage me dites-vous ? La qualité n'a que faire des copains.

 

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Ainsi donc je me retrouve il y a quelque temps avec un fort gros colis déposé par les soins de ma factrice, qui est une fille donc aimable, à la boulangerie d'en face. Je me jette goulûment sur Creepy et Eerie, deux anthologies des revues éponymes parues aux US de A dans les années 1960, héritières de Tales from the Crypt et passées habilement entre les mailles de la censure. Car ce qu'on lit, c'est essentiellement du fantastique un peu gore, sous forme d'histoires courtes de quelques planches, noir et blanc, aux scenarii aussi experts que drôles la plupart du temps signés par Archie Goodwin, mais aux dessinateurs très variés s'exprimant dans des styles divers dont la convergence est néanmoins une gamme de qualité élevée.

 

J'avais pressenti, dès le départ, que c'était ma came : goules, vampires, loups-garous, revenants, créatures shelleyennes, esprits animaux, le tout enrobé d'un goût certain pour la lovecrafterie, c'est à la fois très classique dans le cadre du fantastique américain et suffisamment maîtrisé pour ne pas proposer d'inlassables et stériles relectures. Les variations, subtiles ou plus épaisses, sous forme de retournements de situation en dernière case, de références détournées, de mixtions improbables entre deux mythes cousins, trahissent le bon goût, les connaissances et surtout l'humour de Goodwin. Quant aux dessinateurs, à part quelques-uns qui m'ont paru un peu scolaires (on trouve au détour de quelques histoires des encrages un peu moches, des proportions pas très heureuses, des mouvements mal rendus, des découpages placides), la plupart sont formidables et je ne ferai que répéter ce qui est dit dans les intéressants appareils critiques des deux anthologies (préfaces, articles de fin d'ouvrage, sont vraiment très bien) : les médailles vont à Frank Frazetta, malheureusement trop rare, avec des textures d'une beauté fatale, Reed Crandall et ses hachures hyper-expressives, et enfin Steve Ditko qui brille surtout par son découpage dynamique. Mais enfin, tous les autres sont très bons aussi. Je pense notamment aux très "expressionnistes" Joe Orlando et Gene Colan, que je ne connaissais pas.

 

Est-il besoin de le préciser ? À la lecture c'est un immense plaisir. et pour ne rien gâcher les deux anthologies sont merveilleusement réalisées, dans des objets beaux, solides, bien fabriqués, bien documentés. Du boulot de passionné. Pourtant, et je ne m'en doutais pas, le meilleur était à venir.

 

 

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Technique ♦♦♦♦

Esthétique 

Emotion ♦♦

Intellect  ♦♦

 

 

 

La Grande Guerre de Charlie, ou Charley's War en VO, ça faisait longtemps que je l'avais repéré dans mon rayon – trois volumes parus, une nomination à Angoulême je crois, peut-être un prix ou deux par-ci par-là – et, je suis désolé d'avoir à employer ce terme de vendeur vénal, mais je les "vends bien" depuis leur parution – proportionnellement à de la BD indé, je veux dire. Pour tout dire, moi et les récits de guerre réalistes... euh, comment dire, on est pas forcément copains. En romans, c'est pas compliqué, je pense n'en avoir jamais lus. En films, j'en tolère quelques-uns parce qu'ils sont esthétiquement beaux (La Ligne Rouge de Malick), émouvants (Les Sentiers de la Gloire de Kubrick) ou intellectuellement stimulants (Full Metal Jacket du même), mais le seul que j'aime réellement c'est Jarhead de Sam Mendès parce qu'il est tout ça à la fois en ayant l'intelligence de reconnaître et fustiger l'influence de ces glorieux parangons. Par contre, ne me mettez jamais devant Apocalypse Now ou des machins comme ça, je supporte pas. Inutile de dire le moindre mot sur Pearl Harbour du coup (une des plus belles arnaques propoagandistes de l'histoire du cinéma). Et enfin en BD, eh bien je dois avouer m'être emmerdé en lisant les trucs de Tardi sur la WW1, je crois qu'à partir de là tout est dit, sachant en plus que j'adore Tardi. Peut-être que j'abhore tellement la chose militaire que tout discours visant à la mettre en scène ne m'intéresse pas par principe. Autant dire que c'était pas gagné pour le petit Charlie.

 

Eh bien Charlie m'a cueilli. Chef d'oeuvre. Captivant, beau, émouvant et intelligent. Comme je déteste contextualiser, je résume en une phrase qui sera aussi une merveille technique de compactage : Charlie, 16 ans, un peu benêt mais solidaire, Angleterre, Première Guerre Mondiale, Der' des der', France, Bataille de la Somme, tranchées. Mais avec pas mal d'humour aussi. Pat Mills, le scénariste, démarre cette série en 1979 en mode "couilles de béton" puisqu'il publie ce brûlot anti-guerre dans la très militariste revue anglaise Battle. Peut-être que les directeurs de rédaction étaient tellement cons qu'ils n'ont pas relevé le sous-texte et se sont contentés d'admirer les belles armes dessinées par le surprenant Joe Colquhoun (j'offre un café à la personne capable de me donner la prononciation correcte de ce patronyme). Mills et Colquhuoun auraient pu tomber dans le panneau béant du personnage principal boy-scout plein de bons sentiments, mais Charlie est un personnage point-de-vue absolument parfait : un peu idiot mais pas trop, attaché à sa famille mais résolu à aller au front, solidaire et courageux mais pas suicidaire, en somme (joke !) beaucoup plus ambivalent qu'il n'apparaît au premier abord tout en restant suffisamment creux pour permettre l'identification. Parfait.

 

Le découpage, avec un dessin aussi réaliste, précis, et disons-le, chargé (avec en plus pas mal de texte), aurait pu être casse-gueule mais Colquhoun s'en tire souvent très bien, bosse sa mise en page pour la rendre à la fois dense et équilibrée (à défaut d'aérée). La preuve la plus éclatante, c'est que les passages d'action restent lisibles (ce qu'aucun dessinateur de comics photo-réaliste actuel ne semble foutu de faire). La parution en feuilleton ne hache pas l'histoire, qui, lue comme ça en recueil, repose sur des "cliffhangers de fin de chapitre" sans que ça vampirise la fluidité. L'alternance des phases de dialogues, de combats, d'émotion, de démonstrations idéologiques, est la plupart du temps parfaite. Le fait que l'intrigue soit racontée linéairement, presque au jour le jour, sans ellipses ou quasiment, participe aussi beaucoup à l'immersion ; on voit bien d'ailleurs que Mills utilise au début un artifice pour décaler les points de vue et sortir un peu la tête des tranchées : les lettres de Charlie à ses parents, et qu'il l'abandonne passé un moment pour renforcer l'immédiateté, le "ici et maintenant" du récit, ce qui tend à le rendre plus universel.

 

Charley's War est immense (même si on a pas encore tout lu puisqu'on est seulement au troisième tome de l'intégrale) et à mon sens ne souffre que d'un seul défaut rédhibitoire : ses pavés de texte. Soit parce qu'ils sont naïfs, soit pour leur didactisme ou leur obsession (on est pas encore dans la BD "moderne" un peu moins scolaire) à décrire stérilement ce qu'on est tout bêtement en train de voir. Par les explications très éclairantes de Mills himself dans les paratextes (une fois encore, très intéressants dans l'ensemble), on sait que ces pavés ne sont pas de son fait et qu'il se serait volontiers passé de la plupart, mais je suis forcé de les inclure dans mon jugement de l'oeuvre – tout simplement parce que sans l'addendum de Mills, je n'aurais rien sû de son opinion sur la chose.

 

 

 

Mais c'est vraiment mon seul bémol. Je vous encourage donc à découvrir tous ces ouvrages qui ont été, pour moi, une des meilleurs lectures BD depuis un bout de temps, et même si d'habitude je déteste faire de la "prescription", je déroge à ma règle et je vous "prescris" le label Delirium comme un médicament opportun contre la laideur du monde et des méchantes gens.

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30 mai 2012 3 30 /05 /mai /2012 20:16

http://comicrevolution.files.wordpress.com/2011/02/daytripper.jpghttp://www.manga-news.com/public/images/series/Iam-1-Shogakukan.jpghttp://www.animeland.com/files/critiques/21267/I-am-a-hero_couv_2.jpghttp://www.lassociation.fr/blog/wp-content/uploads/2012/05/Incidents_Precouv.jpghttp://madmoizelle.com/carnets/bd/files/2012/04/ratman.jpghttp://img.over-blog.com/300x392/0/59/31/96/Blog-2012-1/Gringos-locos.jpghttp://www.bedetheque.com/Couvertures/Couv_162571.jpg

 

 

 

 

 

Mon retour aux affaires après des vacances méritées correspond, pour notre bonheur à tous, à une magnifique fournée. On tient même là-dedans, juste ci-dessous, sans doute la meilleure BD 2012 pour l'instant, ou alors à égalité à Billy Bat. On enchaîne tout de suite.

 

Moi qui croyais que le nouveau label Urban Comics n'allait nous servir que du super-héros un peu chiadé, je me dois de constater qu'il y a aussi de l'audace au catalogue. Pour preuve, le superbe volume (quoi que j'ai un peu de mal avec la fabrication des Urban Comics, il y a un truc qui me chifonne dans l'aspect ou la prise en main, ch'ais pas) nommé Daytripper par les frères brésiliens Fabio Moon et Gabriel Ba (♦(oui, ils sont frères mais ils ont pas le même nom, c'est pas ma faute). Jugez plutôt : c'est l'histoire d'un type, fils d'un grand écrivain Brésilien, qui cherche secrètement à suivre les ambitions littéraires paternelles mais se retrouve en fait chargé de la minable rubrique nécrologique d'un quotidien. Sur le tard, il parvient à sortir un bouquin reconnu par la critique et le public. Voilà du moins ce que l'on reconstitue au fil des chapitres qui chacun fournissent des informations parcellaires sur la trame de cette existence. Car dans chaque chapitre, un moment bien précis de la vie du bonhomme est exposé, mais l'enchaînement n'est pas linéaire, il est éclaté : un coup on découvre le personnage à 32 ans, puis 6 ans, 48 ou 28. Et à la fin du chapitre, sempiternellement... le personnage meurt. C'est le concept de l'oeuvre. Ainsi, l'impression qui se dégage, c'est que le moment de la mort détermine des parcours divers. C'est le lecteur qui reconstruit la direction, le fil de vie, et chaque partie amène des compléments surprenants qui éclairent les épisodes précédents. Le procédé narratif n'est sans doute pas neuf, mais il est admirablement exécuté. Les "tranches de vie" auront chacune droit à un traitement différent tout en respectant l'unité graphique d'ensemble. Il n'y a pourtant rien d'affolant dans le découpage ; et même le dessin et la colorisation, bien qu'ils fassent sentir une très grande maîtrise et pas mal de joliesse, ont été voulus conformes aux standards américains : personnages anguleux, décors réalistes, contours démonstratifs. Il y a seulement, sur des cases en particulier, un "traitement de faveur", l'emploi de l'aquarelle que l'on retrouve dans les superbes ouvertures de chapitres. Et là ça tue. Moon et Ba ont décidé de ne laisser surgir l'abstraction que très ponctuellement. Ce n'est pas dérangeant. La structure elle-même se charge de l'essentiel. La parution française de ce petit chef d'oeuvre est placée sous le parrainage de Cyril Pedrosa, et c'est vrai qu'il y a vraiment quelque chose de la tonalité de Portugal dans Daytripper (même si Portugal est quand même incomparablement plus beau). Pour courronner le tout, on a même droit à une postface en forme de planche de BD de Craig Thomson. La grande classe, je vous dis.

 

Ensuite deux premiers tome d'un manga particulièrement excellent et surprenant dans son traitement. I am a hero (Kengo Hanazawa, Kana)(♦) raconte un truc atrocement banal de nos jours : une invasion zombie. Mais alors attention, rien à voir avec les standards habituels. Déjà, le premier tome presque entier est consacré à l'exposition et la découverte du personnage principal, un trentenaire marginal et asocial, assistant dans un studio de dessin de manga, qui parle tout seul et danse sans raison dans la rue. La seule personne avec qui il s'entend est sa petite amie, aussi déjantée que lui. Accessoirement, il voit des trucs bizarres, des petits personnages fantomatiques inquiétants, mais ça n'a pas l'air de le perturber tant que ça. Il est typique du antihéros un peu autiste qui ne déchiffre pas le monde avec le même langage que la masse. Ca tombe bien, I am a hero est précisément une BD qui pose également sur son univers une grille inhabituelle et déroutante. Puis dans le deuxième tome survient la pandémie zombifique. Ce qu'il faut comprendre, c'est que tout le soin dans ce manga a été porté sur le découpage. Jamais une seule planche ne tombe dans la facilité. Il y a des cases successives d'un visage en gros plan dont les mimique changent subtilement, de brusques retournements d'axes, de larges contemplations, des déformations du champ... ça fuse. Et le mieux, c'est que le contenu n'a pas ce côté toujours poli et édulcoré de la plupart des mangas. Les réactions du personnage principal sont intimes, surprenantes, les micro-expressions, micro-éléments et micro-laideurs ne sont jamais mises hors-cadre, on est centré dessus, sur les mochetés de chaque seconde, sur les plaisirs coupables aussi. Les dialogues, la narration et la précision du dessin contribuent à un climat général d'abasourdissement, précisément la réaction juste et réalistes à l'impossibilité d'une véritable attaque de mort-vivant. Là réside le goût si particulier de I am a hero : c'est autant naturaliste que surréaliste.

 

Et vous pensez que c'était fini ? Eh bien non, encore une BD formidable dans le lot (bien que réédition). Une sorte de réconciliation entre moi et L'Association. Les Incidents de la nuit (T1)(♦) me fait découvrir David B., grande figure de la BD indé, qui a réussi à me bluffer. Il se met en scène lui-même dans une intrigue ésotérico-fantastique. Il est obsédé par un journal du XIXe siècle nommé "Les Incidents de la nuit", mais des événements invraisembables se mêlent à l'histoire, puisqu'on y croise un ange de la mort, une librairie dont on peut silloner les ouvrages comme un paysage désertique, des personnages meurent, se planquent dans des caractères typographiques, renaissent, entourés d'une aura de mystère. Même s'il y a ces passages parfois didactique qui sont limite pas de la BD et qui me gonflent, globalement, c'est une grande fresque borgésienne qui s'étale sous nos yeux, avec un dessin noir follement élégant, des mystères surréalistes, un imaginaire surgissant de la toile de fond. De quoi me remettre, peut-être, à lire chez L'Assoc'.

 

On va passer un peu plus rapidement sur la suite. Ratman (Sekihiko Ihui, Kana)(♦) m'a été présenté comme un des mangas incontournables du moment... ma foi, c'est très quelconque. Dans une société contemporaine peuplée de super-héros professionnels, un collégien qui rêve d'en devenir un se voit débauché par une congrégation de méchants. Pas inintéressant, correctement exécuté, m'enfin... La grosse déception, c'est Gringos Locos (Schwartz & Yann, Dupuis)(♦) qui raconte l'épopée américaine de Franquin, Jijé et Morris en une forme de road-movie évidemment romancé et restrucutré pour les besoins de la narration. Soit le voyage inaugural de la carrière de trois géants de la BD franco-belge, et j'en attendais énormément. D'abord, on peut reconnaître aux deux auteurs leur honnêteté : un entretien en postface et un dossier indépendant précisent que l'histoire telle qu'elle est racontée là-dedans est sans doute très éloignée de la réalité des faits. Tant dans les péripéties que dans les personnalités des trois personnages principaux. C'est tout de même un peu curieux d'insister comme cela, en paratexte, sur l'inutilité de ce qu'on vient de lire... en plus de ça, le plaisir de lecture est pour ainsi dire absent parce que c'est simplement médiocre à tous niveaux. Tout ce qu'il reste d'intéressant, c'est une mythologie diffuse qui peine à se cristalliser. Enfin, No Pasaran : le jeu (T1, Christian Lehmann & Antoine Carrion, Casterman)(♦) a au moins le mérite de surprendre. C'est une SF confinant à l'étrange, dans laquelle un jeu vidéo devient obsessionnel pour trois ados, et bien évidemment il a un pouvoir d'immersion pour le moins étrange. Le choix d'un dessin sombre et stylisé, parfois presque expressionniste, rend la trouvaille sympathique, bien qu'elle n'ait pas réussi à réellement me captiver. On rentrera sans doute davantage dans le coeur de l'intrigue dans le prochain tome, je vous en reparlerai donc.

 

En attendant, faites comme moi, soyez beau, joyeux et adulé.

 

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10 avril 2012 2 10 /04 /avril /2012 21:07

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Le mois d'avril est un mois de merde. On ne sait jamais bien de quoi le climat fera notre week-end, on hésite sur le nombre de couches de vêtements à porter lorsqu'on sort fumer sa clope sur le balcon, le chat tremblotte, perturbé par le vent, et l'on est continuellement malade. Aussi est-il difficile d'affirmer qu'avril est propice à la bande dessinée. Il faut juger sur pièce. Prendre, découvrir, dégluttir, glapir. Mais aux toilettes ou sur la chaise de jardin, cette lecture ? Incertain, c'est sur la valeur sûre du manga que j'ai rabattu mes attentes. J'ai donc emprunté trois débuts de série en deux tomes chaque fois, ainsi qu'une petite gourmandise qui se révéla être une grande surprise. Sans plus attendre, les verdicts.

 

 

Je vais manquer d'originalité, mais Naoki Urasawa, après avoir trusté les hits du Massacre pendant des mois avec Pluto, gagne à nouveau la palme de la semaine grâce à sa nouveauté Billy Bat (T1 et T2, Pika)(). Si l'on s'arrête au dessin, on est en terrain très balisé : c'est réalisé avec la maestria et la sûreté technique habituelles de l'auteur : des visages européens aux expressions limpides, un style assez réaliste, des cases nettes aux décors précis. Ca ne déborde pas de folie, mais c'est parfait. C'est au niveau de la narration qu'Urasawa réserve ses surprises ; en effet, on lit d'abord les aventures proprement dites de Billy Bat, un héros détective chauve-souris plutôt rigolo et stylisé (limite "Ichy & Scratchy"). Mais après quelques pages, on "sort" de ce niveau diégétique pour émerger dans un autre, beaucoup plus réaliste comme décrit précédemment, et dans lequel Kevin Yamagata, américain d'origine japonaise, est l'auteur de la BD Billy Bat, au succès grandissant. Sauf que ce gentil bédéaste s'aperçoit qu'il a peut-être piqué l'idée de son personnage-phare quelque part, au Japon. Alors il y va. Et bien sûr, un peu comme dans Monster, il bascule dans une intrigue thriller qui le dépasse complètement. En dehors de l'efficacité du suspense, ce qui fonctionne à fond dans Billy Bat c'est l'intrusion ponctuelle du niveau de diégèse "stylisé" dans celui "réaliste" : le personnage vient rendre visite à son créateur pour l'orienter et le prévenir de certains événements tragiques. Là se loge la folie de l'oeuvre, son imaginaire, son surréalisme. Et même mieux : en plus de naviguer dans l'espace au gré de l'intrigue, la trame narrative navigue aussi dans le temps. Ainsi, sans prévenir, on va se retrouver lors du second tome en plein balbutiement de la chrétienté, au temps de Jésus, et le personnage ricannant de Billy Bat semble encore y avoir son importance. On se met à penser aux saga ésotériques franco-belges de type Décalogue ou Histoire secrète, sauf que, bien sûr, l'intelligence de la structure scénaristique de Urasawa rend Billy Bat infiniment plus intrigant. C'est du niveau de Monster, tout simplement, et même un peu d'audace en plus.

 

 

D'audace, Inio Asano n'a pas manqué au moment de trouver l'idée directrice de Bonne nuit PunPun (T1 et T2, Kana)(). L'histoire est pourtant hyper classique, c'est des écoliers qui font des conneries et le personnage principal est très réservé et vit ses premières amours, ses émois, ses défis, la cruauté des gosses de son âge. Sauf que ce personnage, c'est PunPun : une sorte d'oiseau croqué infantilement en quatre traits et un point. Véritablement exclu de l'espace diégétique anguleux et réaliste qui l'environne, jusque dans les dialogues, puisque PunPun ne s'exprime pas dans les phylactères comme tout le monde, mais par des encadrés. Eh bien de cette idée simple émerge une émotion folle. Bon, il faut dire qu'il y a aussi un vrai boulot de réflexion sur le découpage, souvent audacieux avec de belles échelles de plans, beaucoup d'humour, pas mal de situations non-sense, bref ce n'est pas un manga bas de gamme ni simpliste. Et la stylisation de PunPun crée une distance, et cette distance nous le rend puissamment empathique. C'est super bien pensé, vraiment. Et avec des couvertures trop fortes en vernis sélectif.

 

 

Enfin, avec un peu plus de réserve, un autre début de série original : Thermae Romae (Mari Yamazaki, T1 et T2, Casterman)() n'est pas aussi bien réalisé que les deux précédents, loin de là, mais il puise dans son thème central surprenant l'essentiel du plaisir. L'histoire est centrée sur les bains (!) : les thermes, les baignoires, les hammams, tout ce dans quoi l'on se fout pour se délasser et qui soit plutôt aqueux. Le tout à l'époque romaine. Le personnage principal est architecte et il cherche à innover dans le domaine des thermes, sous le règne du gentil empereur Hadrien. Et il se trouve qu'il voyage dans le temps et se retrouve dans notre belle ère contemporaine chaque fois qu'il est immergé sous l'eau... du coup il en profite pour piquer des idées aux Japonais d'aujourd'hui. Derrière l'énormité jamais explicitée de ce magnifique deus ex machina se dissimule bien sûr une excuse visant à décliner les délectables qualités des inventions thermales de tous ordres. C'est au moins autant informatif que narratif. Fort heureusement, Mari Yamazaki cherche à rendre ça drôle, ce qui réussit pas toujours mais parfois, et du coup ça dégage une sorte de spontanéité sympathique. Bon, rien qui n'explique non plus comment de machin a pu devenir une des meilleures ventes actuelles en manga...

 

 

Enfin, j'attire tout particulièrement votre attention sur le délicieux Monsieur Strips (Yassine & Toma Bletner, Alter Comics)(). Un bon gros recueil de strips en trois cases qui était apparemment publié sur internet au départ. Il y a vraiment une histoire – un fabriquant de pâtes fait appel aux deux auteurs pour faire un strip par jour sur les paquets alimentaires – mais ce n'est qu'une excuse pour développer des running gags en pagaille, autour d'une vingtaine de séries aux styles bien définis (dessin réaliste ou moins, photo-montages, techniques diverses...) et aux concepts très rapidement lisibles. Bon, dès le départ, j'adore le strip : la simplicité de la bande, les restrictions techniques dues au format et au faible nombre de cases, l'obligation de créer des personnages marquants et efficaces à la fois. De manière générale, c'est le compromis parfait entre narration et immédiateté. Je ne vous ferai pas l'affront de vous rappeler les grandes séries du genre (allez, si : Snoopy & the peanuts, Calvin & Hobbes, Mafalda, et j'ajouterai le beaucoup moins célèbre Macanudo de l'Argentin Liniers). Monsieur Strip joue parfaitement le jeu et m'a fait crever de rire. Un point c'est tout.

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