Si je n'avais pas déjà élu son premier tome BD de la semaine il y a quelque temps, c'est Bride Stories (Kaoru Mori, Ki-oon)(♦♦♦♦) qui aurait encore remporté le trophée en cette fin septembre. Sachez donc simplement que la suite de cette saga située dans l'Asie centrale du XIXe siècle est toujours aussi belle, forte et émouvante, et que je vais bien sûr continuer à suivre ce manga hors normes.
C'est pourtant un splendide volume qui décroche la timbale hebdomadaire : Portugal de Cyril Pedrosa (Dupuis)(♦♦♦♦) a pourtant, dans le fond, toutes les qualités pour me barber complètement. BD "tranche de vie" largement autobiographique, Portugal fait le long récit d'une quête des origines menée par le personnage principal, jeune dessinateur qui renoue par hasard avec ses sources lors d'un mariage familial. Une grosse moitié du volume explore ses hésitations, la seconde le voit s'installer brièvement au Portugal où il tente de reconstituer l'histoire de ses aïeuls. Bien bien. Habituellement, je n'aurais pas tenu plus de douze pages. Mais là, il y a un traitement graphique tellement splendide que je n'ai pu que poursuivre. Bien que la narration soit très fluide et le découpage à l'avenant, chaque case mérite d'être scrutée pour admirer la sûreté d'un trait volontairement brouillon. Des structures crayonnées minimales cotoient des personnages plus détaillés, le tout baignant dans des bulles de couleur démentiellement belles, vert, ocre, jaune et orangé, parfois bleu-vert lors des passages introspectifs. Les redécouvertes sensorielles du personnage principal sont essentiellement auditives et gustatives ; Pedrosa ne peut nous les rendre telles quelles : il les convertit donc en couleurs (c'est visible jusque dans les phylactères qui se parent de jaune lors des dialogues en VO portugaise), magnifiquement. Portugal mêle admirablement émotion et esthétisme sur la base d'un trait narratif certes ténu mais intéressant.
Deux BD pas mal par ailleurs. Caricature (♦♦♦♦), le nouveau Daniel Clowes (Rackham), est un recueil réédité d'histoires courtes dans lequel le sympathique Américain, dont je suis assez fan, étale sa science du récit réaliste teinté d'étrange, en employant des styles graphiques variables. Rien d'extraordinaires, beaucoup de bonnes idées, une belle faculté à se projeter dans des narrations et des esthétiques différentes, l'ambiance globale restant amerloque et underground. Lu également le premier tome de Freak's Squeele (Florent Maudoux, Ankama)(♦♦♦♦), chouette BD de série B dans laquelle des étudiants de l'Université des héros vivent diverses aventures bourrées de monstres et de magie. L'ambiance est délibérément "teenager" sans que ça devienne envahissant, ça fonctionne en chapitres qui forment autant d'historiettes, le dessin très "ankamien" fusionne comics, manga et franco-belge avec une certaine prestance, le tout, ou presque, en noir et blanc (sauf un cahier couleur). On dirait du Robert Rodriguez en BD, c'est dire si ça me parle – enfin, en moins classe quand même.
Enfin, sachez, chers lecteurs, que dans les mois à venir, surtout à partir du 28 octobre (date de sortie du film de Spielberg) vous ne pourrez pas scruter une table de libraire sans y contempler une palanquée d'essais consacrés à un célèbre reporter à houpette. En attendant les études microscopiques qui analysent le poil de cul dépassant du pantalon d'Haddock dans la case 312 de L'étoile mystérieuse, la première fournée amorce doucement la maneuvre avec des ouvrages plus généralistes et thématiques. Après Les Personnages de Tintin dans l'histoire (meilleure vente BD de mon rayon depuis deux mois !), voici venir Tintin au pays des philosophes (chez Philosophie magazine)(♦♦♦♦), présenté sous forme de BD franco-belge fort classique mais composé d'articles abondamment illustrés. Et il y a de la prestance dans le sommaire, voyez-vous, du Michel Serres, du Pierre Michon, rien que ça ! L'ensemble, découpé en thèmes (morale, politique, art...), est honnête, mais le tintinophile averti n'y découvrira pas grand chose de plus que les exégètes de l'oeuvre d'Hergé n'aient pu discourir depuis trente ans. Quelques analyses sont même proprement imbitables (études freudiennes et autres bilevesées), et encore, je le répète, c'est particulièrement soft par rapport à ce qui nous attend !
Concluons petitement avec la tentative jeunesse de la semaine (je crois que je vais arrêter) : l'adaptation des Colombes du Roi Soleil (T1, Seiter & Goust, Flammarion)(♦♦♦♦), série de romans à succès pour les aspirantes princesses de moins de 15 ans écrite par Anne-Marie Desplat-Duc. Je ne sais rien des bouquins, mais la BD est d'une laideur patente tout en essayant d'être élégante, ce qui est pire. Et je ne vois pas grand chose à ajouter, sinon que la rigidité de la couverture permet de frapper admirablement tous les félins farceurs.