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  • : Le Massacre
  • : " On a qu'à appeler ça Le Massacre alors. " Mickaël Zielinski, Nicolas Lozzi, mai 2009.
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30 septembre 2011 5 30 /09 /septembre /2011 21:59

 

 

 

 

Si je n'avais pas déjà élu son premier tome BD de la semaine il y a quelque temps, c'est Bride Stories (Kaoru Mori, Ki-oon)() qui aurait encore remporté le trophée en cette fin septembre. Sachez donc simplement que la suite de cette saga située dans l'Asie centrale du XIXe siècle est toujours aussi belle, forte et émouvante, et que je vais bien sûr continuer à suivre ce manga hors normes.

 

C'est pourtant un splendide volume qui décroche la timbale hebdomadaire : Portugal de Cyril Pedrosa (Dupuis)() a pourtant, dans le fond, toutes les qualités pour me barber complètement. BD "tranche de vie" largement autobiographique, Portugal fait le long récit d'une quête des origines menée par le personnage principal, jeune dessinateur qui renoue par hasard avec ses sources lors d'un mariage familial. Une grosse moitié du volume explore ses hésitations, la seconde le voit s'installer brièvement au Portugal où il tente de reconstituer l'histoire de ses aïeuls. Bien bien. Habituellement, je n'aurais pas tenu plus de douze pages. Mais là, il y a un traitement graphique tellement splendide que je n'ai pu que poursuivre. Bien que la narration soit très fluide et le découpage à l'avenant, chaque case mérite d'être scrutée pour admirer la sûreté d'un trait volontairement brouillon. Des structures crayonnées minimales cotoient des personnages plus détaillés, le tout baignant dans des bulles de couleur démentiellement belles, vert, ocre, jaune et orangé, parfois bleu-vert lors des passages introspectifs. Les redécouvertes sensorielles du personnage principal sont essentiellement auditives et gustatives ; Pedrosa ne peut nous les rendre telles quelles : il les convertit donc en couleurs (c'est visible jusque dans les phylactères qui se parent de jaune lors des dialogues en VO portugaise), magnifiquement. Portugal mêle admirablement émotion et esthétisme sur la base d'un trait narratif certes ténu mais intéressant.

 

Deux BD pas mal par ailleurs. Caricature (), le nouveau Daniel Clowes (Rackham), est un recueil réédité d'histoires courtes dans lequel le sympathique Américain, dont je suis assez fan, étale sa science du récit réaliste teinté d'étrange, en employant des styles graphiques variables. Rien d'extraordinaires, beaucoup de bonnes idées, une belle faculté à se projeter dans des narrations et des esthétiques différentes, l'ambiance globale restant amerloque et underground. Lu également le premier tome de Freak's Squeele (Florent Maudoux, Ankama)(), chouette BD de série B dans laquelle des étudiants de l'Université des héros vivent diverses aventures bourrées de monstres et de magie. L'ambiance est délibérément "teenager" sans que ça devienne envahissant, ça fonctionne en chapitres qui forment autant d'historiettes, le dessin très "ankamien" fusionne comics, manga et franco-belge avec une certaine prestance, le tout, ou presque, en noir et blanc (sauf un cahier couleur). On dirait du Robert Rodriguez en BD, c'est dire si ça me parle – enfin, en moins classe quand même.

 

Enfin, sachez, chers lecteurs, que dans les mois à venir, surtout à partir du 28 octobre (date de sortie du film de Spielberg) vous ne pourrez pas scruter une table de libraire sans y contempler une palanquée d'essais consacrés à un célèbre reporter à houpette. En attendant les études microscopiques qui analysent le poil de cul dépassant du pantalon d'Haddock dans la case 312 de L'étoile mystérieuse, la première fournée amorce doucement la maneuvre avec des ouvrages plus généralistes et thématiques. Après Les Personnages de Tintin dans l'histoire (meilleure vente BD de mon rayon depuis deux mois !), voici venir Tintin au pays des philosophes (chez Philosophie magazine)(), présenté sous forme de BD franco-belge fort classique mais composé d'articles abondamment illustrés. Et il y a de la prestance dans le sommaire, voyez-vous, du Michel Serres, du Pierre Michon, rien que ça ! L'ensemble, découpé en thèmes (morale, politique, art...), est honnête, mais le tintinophile averti n'y découvrira pas grand chose de plus que les exégètes de l'oeuvre d'Hergé n'aient pu discourir depuis trente ans. Quelques analyses sont même proprement imbitables (études freudiennes et autres bilevesées), et encore, je le répète, c'est particulièrement soft par rapport à ce qui nous attend !

 

Concluons petitement avec la tentative jeunesse de la semaine (je crois que je vais arrêter) : l'adaptation des Colombes du Roi Soleil (T1, Seiter & Goust, Flammarion)(), série de romans à succès pour les aspirantes princesses de moins de 15 ans écrite par Anne-Marie Desplat-Duc. Je ne sais rien des bouquins, mais la BD est d'une laideur patente tout en essayant d'être élégante, ce qui est pire. Et je ne vois pas grand chose à ajouter, sinon que la rigidité de la couverture permet de frapper admirablement tous les félins farceurs.

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16 septembre 2011 5 16 /09 /septembre /2011 23:05

 

 

 

 

La rentrée littéraire me laisse foncièrement indifférent. Elle est pour moi synonyme de romans français au kilomètre qui s'entassent dans les réserves et engorgent le trafic courant. Du roman français, pouah ! Heureusement, quelques fictions étrangères égayent quelque peu le paysage. Le nouveau Murakami, le nouveau Dan Simmons, quelques perles à découvrir qui sait ? Et puis, il y a les BD. On ne peut pas réellement parler de "rentrée littéraire" pour le matériau séquentiel, tout juste de retour aux affaires après le marasme du mois de juillet et l'exclusive fournée manga de la mi-août. Les BD lourdes vont arriver un peu plus tard, à partir de fin octobre, pour garnir les premiers paniers d'achat de Noël. Cette année 2011 néanmoins, peut-être pour fêter les joyeuses explosions anti-capitalistes qui enjolivèrent notre été il y a dix ans, révèle une oeuvre qui scintille et relève le niveau moyen de l'année écoulée, une BD qui ose, qui tranche et qui Massacre.

 

3 secondes de March-Antoine Mathieu (Delcourt)() est fort justement présentée par son auteur comme un "zoom ludique". On ne saurait dire mieux. À partir d'une focalisation qui nous met à la place d'un faisceau de lumière, nous allons zoomer très progressivement, chaque case révélant un cadre plus serré que le précédent, sur une première scène vue d'un certain angle en strict travelling avant, puis rebondir sur une surface réfléchissante pour révéler un nouveau point de vue et un nouvel angle, progressant toujours par à-coups zoomés successifs, et ainsi de suite. Le rebondissement perpétuel va nous entraîner très loin, au gré des reflets de miroirs, de lunettes, de n'importe quel support réfléchissant, jusque dans des immeubles voisins, un avion et même un stade de foot. Car, malgré l'absence de phylactères, il y a une intrigue dans 3 secondes. Mais c'est au lecteur d'interpréter les diverses scènes pour en dégager les enjeux. L'ambiance est celle du thriller, on comprend bien vite que les personnages dévoilés (un joueur de foot, un tueur à gage embusqué, un garde du corps...) composent chacun une facette d'une affaire de corruption orchestrée par la FIFA. Vous ne rêvez pas, c'est la cerise sur le gâteau : ça parle de foot ! Si ce n'est par les situations, les objets ou les actions des personnages, on peut en apprendre beaucoup grâce aux articles de journeaux qui vont ponctuellement entrer dans le champ, même s'il sera souvent nécessaire de les lire à l'envers, ou à l'envers-àl'envers (effets de miroir successifs oblige). Le temps diégétique de l'action est effectivement de 3 secondes, mais il faudra au lecteur bien plus longtemps pour compulser l'ouvrage, et c'est là peut-être sa plus singulière qualité : Mathieu oblige le lecteur à une lecture lente, très très lente, car il faut scruter attentivement chaque case, recouper toutes les informations que le champ peut livrer avec la somme d'indices déjà glanés auparavant. C'est ainsi qu'il faudrait lire toutes les BD mon bon monsieur, eh bien là, ce n'est pas une option, on doit le faire si l'on veut s'immerger et comprendre. La participation active du lecteur pour combler les ellipses de toutes sortes justifie le caractère "ludique" de l'objet. De toute évidence, le travail purement technique de Mathieu, considérable pour déformer les objets selon le type de reflet auquel on a à faire, révèle un souci du détail obsessionnel, au détriment sans doute de sa dimension esthétique. Fatalement, le noir et blanc distordu au rendu très classique ne dégage pas nécessairement du "beau". Mais un plaisir intellectuel, par contre, qui pousse à s'investir démesurément, à échaffauder des hypothèses, à participer à la construction du sens par l'intermédiaire des signes. C'est tout à fait époustouflant et franchement expérimental.

 

Le reste de la sélection semblera évidemment palote en comparaison, mais quelques volumes ont fort bien réussi leur coup. En mer (Drew Weing, Ca et là)() est un petit bijou enfermé dans un joli format (plus petit que manga) et fort bien fabriqué, qui raconte en une case par planche le trajet d'un poète énorme et bourru engagé contre son gré sur un bateau et finira marin. Le dessin stylisé mais précis évoque en gros les Katzenjammer Kids, l'histoire en boucle est belle, c'est un petit plaisir pur et facile. Voyage en Satanie (Dargaud)(), scénarisé par l'excellent Vehlmann et dessiné par Kerascoët, nous offre une gentille utilisation du merveilleux scientifique à la Jules Verne. Une expédition spéléologique se transforme en exploration fabuleuse dès lors que les personnages croisent une civilisation cachée sous les profondeurs de la croûte terrestre, et même une race de néanderthaliens dont l'évolution parallèle était restée masquée au reste de l'humanité. Tout cela est malin, parfois fort beau et très prenant, une fiction d'aventure bien balancée qui s'achèvera ultérieurement par un second tome. Un petit comic book des familles ? Allez donc : Bienvenue à Hoxford (Ben Templesmith, Delcourt)() dépeint une sombre et violente histoire carcérale dévorée par des loups-garous. Ca envoie du pâté, il y a du beau dessin au crayon informatiquement colorisé dans des teintes metalliques diverses, autant dire que ce n'est pas moche et que ça donne une certaine puissance au déploiement d'horreurs qui s'abattent sur nous. Primal et régressif. J'ajoute au paragraphe des bonnes choses Toriko (T1, Mitsutoshi Shimabukuro, Kazé)(), un manga fort mal dessiné mais assez drôle : le personnage-titre est un "gourmet-hunter", un chasseur spécialiste des animaux comestibles, le tout dans un monde de fantasy aux créatures plus improbables et rigolotes les unes que les autres : gorilles à quatre bras, grenouilles-serpents, fruits à chair de crabe, etc. Doté d'un appétit démentiel mais d'une certaine finesse de palais, Toriko rêve de composer le menu parfait qui rassemblera les meilleurs ingrédients au monde. Tout est délibérément exagéré, irréfléchi et très stupide, ce qui a suffi à mon bonheur.

 

Sinon, La Forêt (T1, Casterman)() de Vincent Pérez (oui oui, l'acteur !) et Tiburce Oger au dessin, bon, esthétiquement, je dis pas, chaque case prise à part ferait une chouette illustration dans un recueil à 30 euros, mais mis bout à bout, ça manque de découpage (car Vincent Pérez n'est pas un vrai scénariste) et de cohérence pour faire une bonne histoire. Assez chiant et plein de poncifs également. Et Claymore (T1, Norihiro Yagi, Glénat)() est un pâle succédané à Berserk, dénué de la classe, du dessin hallucinant et de la profondeur d'histoire de Kentaru Miura, encore que j'en lusse que le premier tome, pas non plus catastrophique.

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27 juillet 2011 3 27 /07 /juillet /2011 16:53

 

 

 

 

Allez, une petite fournée avant les vacances. Je n'allais pas vous abandonner tout un mois (à mon grand bonheur, merci) sans aucune piste pour vos lectures d'été ? Je ne suis pas un monstre, enfin !

 

À défaut de vous conseiller quoi lire, je peux au moins vous aiguiller sur ce que vous pouvez éviter, ce qui constituera la plus grande partie de ma chronique. La totalité, en fait, à l'exception de la BD de la semaine : Binky Brown rencontre la Vierge Marie (Justin Green, Stara)() est la réédition d'un classique, voire même de l'oeuvre séminale de l'underground américain. Crumb, Spiegelman ou Chris Ware lui reconnaissent une paternité. On apprend beaucoup sur l'oeuvre (parue initialement en 1971) et l'auteur dans la longue postface (qui fait la moitié du volume) pas mal écrite qui ne manquera pas de passionner les plus fervents. Fervent, il faut l'être un peu pour se plonger dans cette BD presque amateur, en tout cas inégale en terme de maîtrise technique selon les passages. On ressent à chaque case la pénibilité du travail de Green, qui, pour ne rien arranger, peut parfois être obsessionnel sur les détails, très précis sur les textures. Ce récit autobiographique (présenté comme "le premier de l'histoire" en BD) très déconstruit, avare de liens logique, narrativement très expérimental, est symptomatique de la psyché de son auteur : atteint de ce qu'on appellerait aujourd'hui des TOC (troubles obsessionnels compulsifs), torturé par la distance entre sa rigoureuse éducation religieuse (catholique, bien qu'il soit à demi-juif) et les pulsions naturelles de l'adolescence, Justin Green (pastiché en "Binky Brown") fait état d'une lutte morale interne très violente. Le récit oscille entre la narration réaliste et les inserts symbolistes très caricaturaux, évidemment humoristique et du coup auto-parodiques. Le rendu peut paraître fouillis, bordélique, surréaliste, il n'est en réalité que la cristallisation graphique de la névrose, et ainsi transparaît sa justesse d'analyse (pris à tous les sens du terme, y compris, psychanalytique).

 

Pour le reste, pas besoin d'affoler vos frénésies boursières. Elysée République (Le Gall & Frisco, T1, Casterman)(), vous tiendra en haleine quelques instants, dans le cadre gracieux du thriller politique français. Un président de la République (fictif) de droite affronte un jeune leader centriste et social-démocrate et une affaire secrète fait basculer leur rivalité dans le règlement de comptes. C'est solidement documenté et du coup l'effet de réel fonctionne remarquablement. Par contre, les scènes d'action sont trop longues, ponctuées d'instants de "bravoure" un peu ridicules. Le fond s'avère suffisamment travaillé pour passionner, et le dessin "Winchien" assez fin achève bien le boulot. Déluge (Pona & Hervas, Soleil)() inaugure avec une autre BD (nommée Nirvana) une nouvelle collection "Anticipation" chez un célèbre éditeur Toulonnais. C'est de la SF aquatique et militariste (vous vous souvenez de Waterworld ? Ben voilà...) pas mal troussée mais atrocement attendue dans le déroulement.

 

Signalons une traduction audacieuse chez Akiléos (l'audace, c'est leur fond de commerce) : Motel Art Improvment Service de Jason Little () est un roman graphique américain au format (à l'italienne) certes surprenant mais à l'histoire très plate : une nénette de 18 ans, gros cul et grosses lunettes, entreprend une traversée des Etats-Unis à vélo. Pas de bol : dès le douzième virage, elle est renversée par un poids-lourd et son véhicule broyé par la puissance mécanique. Du coup, elle commence à bosser dans un motel du coin pour pouvoir s'en payer un neuf. Elle fait la connaissance d'un artiste "à tendance situ" qui s'amuse à ajouter sa touche personnelle aux tableaux si atroces des chambres d'hôtel morbides. Au passage, il s'octroie une partie des médocs et psychotropes qu'il peut glaner en fouillant les affaires des clients. Bon bon, pas passionnant tout ça, pas spécialement drôle, ni touchant. On dirait que tout est volontairement lisse, des dialogues au dessin en passant par les situations. Mais dans quel but ? Peut-être à faire ressortir le découpage multiforme et rebondissant (et par là-même le format) qui est largement l'aspect le plus audacieux de l'oeuvre.

 

Finissons par deux mangas et un comic. Judge (T1, Yosjiki Tonogai, Ki-oon)(), à peu près suite de la sympatoche série Doubt dont on a déjà parlé ici, prend toujours plaisir à enfermer des adolescents dans un bunker plein de pièges sadiques et détenant tous un secret. Cette fois-ci, la structure est basée sur les sepct péchés capitaux. Mouai... Moins réussi que l'original, sans doute parce que moins inattendu. Mais au-delà, le découpage est parfois pénible (c'était déjà un défaut de Doubt) à force de ne rien nous laisser piger lisiblement pendant des pages entières, avant un rattrapage par plan d'ensemble au dernier moment (de justesse avant fermeture de l'opuscule). Y en a marre du manga sadique. J'ai même préféré Chibi Vampire (Yuna Kagesaki, Pika)() qui joue pas stupidement avec les codes de l'histoire de vampire pour fillette. Le personnage principal est une vampire comme toute sa famille, mais elle présente des caractéristiques différentes et devient victime d'un certain rejet de la part de ses pairs : en effet, elle n'aspire pas le sang mais au contraire le rejette dans ses "victimes" comme un trop-plein. Le parallèle avec les menstruations (son acte vampirique ne devient un besoin inextinguible qu'une fois par mois) est suffisamment clair pour y voir une allégorie de la féminité vécue comme monstruosité, et c'est assez malin (bien que, j'allais oublier, tout à fait pénible dans l'aspect shojo-débile). Bone (Jeff Smith, Delcourt)(), BD amerloque, encore, est bizarre : c'est de la fantasy hyper classique (forêt, monstres, dragon, village, taverne...) mais détournée sur le sentier de la satire, non seulement par l'emploi de gags de situation (dragon flegmatique, rats-garous stupides, etc.), mais plus encore par la présence très "What the fuck ?" d'un personnage principal tout blanc et très lisse issu de la race des "Bone" (littéralement : os). Sorte d'archétype confinant à l'inutile, tout juste apte à absorber la drôlerie du contexte et des autres personnages, Bone recueille dans sa blancheur, son absence de détails et de textures, sa stylisation, les attributs du héros global, et sans doute était-ce l'idée. Bon, voilà, mais on s'emmerde un peu quand même. Un concept qui m'est étranger, puisque je vais à présent laver mes vitres. La vie est bien faite !

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20 juillet 2011 3 20 /07 /juillet /2011 12:53

 

 

 

 

Les quintaux de touristes déversés chaque jour dans notre beau sud-est manquent me faire défaillir. Je vais pas faire ma Leslie Plée (amis libraires, lisez l'indispensable Moi vivant vous n'aurez jamais de pause), mais je pourrais en raconter de bonnes sur les niaiseries cradingues pérorées par les client belges, allemands, et il y a même des Suisses ! Ma rectitude de jugement s'en trouve fatalement altérée, et la sélection BD se révèle triste et fade – pas très aidée par le niveau de qualité des sorties en ce moment ; on ne le dira jamais assez : en terme de produits culturels, ce sont les oeuvres moyennes qui nous plombent. En voici un festival.

 

La moins pire est un manga : Chi une vie de chat (Konami Kanata, Glénat)()  est pourtant colorisé et publié à l'occidentale, simplement parce qu'il s'adresse aux plus jeunes lecteurs. Le pitch est simple : une famille adopte un petit chat, et nous épousons le félin point de vue au fil de courts chapitres gaguesques et très mignons. La colorisation est tendre, la plus grande surface des décors est blanche, ce qui laisse respirer l'histoire et lui donne beaucoup de fraîcheur. L'idée n'est pas de surcharger les péripéties comme dans Hamtaro par exemple, mais vraiment de se placer de manière réaliste dans l'esprit de Chi, le petit chat. La tonalité est merveilleusement juste : quiconque a vécu l'adoption d'un chat retrouvera les étapes-clés de l'apprivoisement mutuel, et surtout trouvera cohérentes les pensées prêtées à l'animal, très justes d'un point de vue comportemental. La traduction française aurait juste pu éviter de faire zozoter le personnage principal, car cela donne un zeste de débilité à une oeuvre pourtant harmonieuse et assez fine. On reste souvent dans l'espace clos de l'appartement, ce qui n'est pas gênant puisque ce dernier est parfaitement spatialisé. Les mouvements, les gags, les expressions des personnages, reposent sur une base très classique, mais sont adaptés au sujet : derrière l'apparente simplicité se cache une certaine rigueur dans le découpage, une fluidité dans la narration. Jolie découverte régressive. Et les semaines défilent, et je persiste à distinguer des mangas pour gonzesses. Aidez-moi.

 

Chi remporte la palme pour sa spontanéité, sa blancheur. Toutes les autres BD de la semaine sont à l'inverse boueuses et crasseuses. Il y a d'abord eu Ares : the Vagrant Soldier (Ryu Geum-Chul, Booken Manga – un nouvel éditeur à suivre !)(♦♦), un vrai manga burné avec du sang et de la violence. D'ailleurs c'est pas un manga mais un manhwa, une bande dessinée coréenne. On est dans une sorte de fantasy urbaine, genre il y a des châteaux et des chevaliers, mais aussi des djeunz en sweet-capuche quoi. Le dessin des personnages est singulier, tout en lignes brisées et postures courbées : on pourrait appeler ça un "style dégingandé", qui se marie fort bien à l'ambiance et à l'histoire (trois gosses très talentueux au combat sont recrutés par une sorte d'armée privée nommée Ordre des Templiers). On est quasiment dans du "gangsta-rap" à la Mutafukaz, mais médiéval, c'est du no future, des persos nihilistes à mort, des combats violents. Outre la prégnance de cette atmosphère, cela présente peu d'intérêt néanmoins.

On peut ainsi faire un rapprochement immédiat avec le premier tome de 100 bullets (Brian Azzarello & Eduardo Risso, Panini)()  : quatre histoires courtes liées par leur exposition et leurs modus operandi : un type en costard propose à un quidam (de préférence issu d'un bas-quartier étazunien) une mallette contenant un flingue et 100 balles non-marquées (donc intraçables), et comme de bien entendu, ledit quidam aurait justement bien des choses à venger. Pourquoi l'homme à la mallette permet-il ces sanglants règlements de compte ? Quel est son intérêt ? Son rapport avec la justice légale ? Telles sont les questions qui ressortent en filigrane des différentes historiettes. Mais le mystère général est intelligemment laissé en suspens le temps de suivre les quelques personnages qui se trouvent confrontés au choix de la justice des hommes. Les auteurs ont une vraie science, à la fois dans le dessin, le scénario et le découpage, pour faire exister rapidement ces personnages, leur donner un passé et une densité émotionnelle, puis proposer une conclusion souvent inattendue au choix qui leur est demandé.

 

Suivent deux BD aussi sombres que précédemment, mais plus quelconques, avec moins de gueule et d'aspérités que le manhwa et le comic dont on vient de parler. Le premier tome de L'Ordre du Chaos (Perez, Ricaume & Geto, Delcourt)(♦♦) inaugure une nouvelle série "à fil rouge", truc très à la mode dans le franco-belge, qui consiste à proposer une saga de thrillers mystérieux (si possible ésotériques) dont chaque volume, distancé des autres dans l'époque et le lieu, va augmenter la somme d'informations disponibles pour éclaircir l'énigme globale. Exemples-types : L'Histoire secrète, Le Décalogue. Ici l'idée est qu'une congrégation est intervenue plusieurs fois dans l'histoire pour empêcher que l'Ordre absolu règne, pérenniser le Chaos qui permet l'évolution. D'où "Ordre du Chaos". Dans ce premier tome, les joyeux drilles influencent Jérôme Bosch, le célèbre peintre hollandais, pour que ses toiles rendent fou le souverain de l'époque. En gros, la BD est intéressante lors des passages surréalistes, destructurés, le dessinateur s'approprie assez intelligemment le style de Bosch, mettant en volumes imposants ce que l'artiste détaillait en fourmillements dans ses toiles (ah ! revoir le Jardin des délices au musée du Prado...). Mais si les vertiges sont plutôt réussis, l'essentiel de la narration linéaire manque franchement d'intérêt, reste froid, vague et déclamatoire.

Puis Le Vampire de Bénarès (Georges Bess, Glénat)(♦♦), qui semble nous promettre une belle ambiance fantastique alors qu'on a finalement affaire à un thriller qui se passe en Inde, des plus banals pour tout dire. Quelques petites tentatives d'ampleur dans certains décors, mais par ailleurs un concept éculé, un manque global de suspense, beaucoup de promesses scénaristiques non tenues. Et puis c'est pas "beau" quoi. Pour refaire le plein de couleurs vives, on enchaîne sur Faut qu'on parle de Hélène Bruller (Drugstore)(), qui est de loin la "Brétécher-like" la plus convaincante que je connaisse, loin devant les autres prêtresses du dessin humoristique féminin telles que Motin ou Bagieu. Un gag par planche presque en pleine page, une ligne de dialogue en dessous, et basta, et ça fonctionne. On tourne énormément autour de la question du couple, même si des animaux, voire même des fruits et légumes pourront faire office de personnages. Quoi qu'il en soit, la technique de dessin, à mi-chemin entre le cartoon vite fait et la peinture soignée fait son petit effet, c'est rigolo, on dirait du Voutch sans infographie, peut-être même du Serre (toutes proportions gardées).

 

Enfin je ne dirai pas un mot des Druides (Istin, Jigourel & Lamontagne, Soleil)(♦♦), BD alphabétique de la semaine, parce que je n'ai pas tenu plus de quatre pages. Dialogues, dessin des personnages (un peu mieux pour les arrière-plans), découpage, tout est fondamentalement à chier. D'un ennui démentiel. Déjà que je suis légèrement vagal avec mon opération des dents de sagesse, là, fallait pas en rajouter. Je retourne me coucher avec une glace et un petit How I met your mother. Suprême palliatif populaire de la douleur.

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11 juillet 2011 1 11 /07 /juillet /2011 07:55

 

 

 

 

Je passe un peu vite sur les lectures BD de cette fournée-là, d'abord parce que j'ai pas le temps et ensuite parce que la sélection n'était pas merveilleuse.

 

Pour tout dire, c'est Batwoman (Greg Rucka et J. H. Williams, Panini)() qui remporte la palme de la semaine, pour être la seule BD audacieuse et maîtrisée. Batwoman, c'est une fille de militaire, juive et lesbienne, qui s'entraîne avec acharnement pour être digne de son "mentor" Batman et faire régner à son tour l'ordre à Gotham. Dans l'épisode qui nous intéresse, elle s'oppose à une méchante tout droit sortie d'un conte anglais. La chose rigolote dans ce comics, c'est l'alternance entre des passages au dessin propre et lisse au trait épais (dans la "vraie vie" de l'héroïne, son quotidien) et d'autres (dans la vie "alternative" de justicière) au découpage surprenant, éclatant l'action en plusieurs cases autour d'une grande scène centrale sur double-page, graphiquement beaucoup plus griffés, aux techniques plus variées dans la colorisation ou la texture. Cela donne de la gueule à une histoire par ailleurs classique.

 

Notons que pas loin derrière, il y a une petite merveille : l'intégrale des Clopinettes (Mandryka & Gotlib, Dargaud)(). Ah, Clopinettes comment dire... ? Des jeux de mots pourris en une case illustrés. Des proverbes expliqués par le moyen d'un lourdingue calembour, en une planche loufoque de BD. Il faut aimer l'humour de Gotlib pour aimer Clopinettes. Et même plus, parce qu'on l'a connu plus fin, moins directif dans la recherche du gag forcé. Bon, moi, j'adore.

 

D'autres BD me laissent partagé : Interne 2 (David de Thuin, auto-édité)(♦♦) ressemble à du Trondheim indé : l'auteur croque quelques fugitifs instants soigneusement triés dans son quotidien (plutôt oisif) du Sud de la France garni par sa femme, ses deux enfants et d'autres gens. Le côté "instantané" avec stylisation en animaux fait son petit effet, mais dès lors qu'il nous photocopie les dessins de ses gosses, ses photos de nuages ou ses historiettes de quelques pages (encore une fois très Trondheimesques : des animaux dont les péripéties sont visiblement écrites au fur et à mesure), assez quelconques au demeurant, ça devient bien moins intéressant. Djinn (T1, Dufaux & Miralles, Dargaud)(♦♦), BD alphabétique de la semaine, est un bon petit thriller érotico-indien avec quête des origines qui ne pète pas des nouilles non plus. Anguille & Baldaquin (V. Seiche, Ankama)(♦♦) est beaucoup plus inattendu : ces aventures de deux "chercheurs" un peu débiles dans un monde débile ont surtout pour caractéristique d'être dessinées avec une sorte de crayola, dans un style purement enfantin et monochrome (bleu, quoi qu'il y ait parfois du rouge). On devine un dessin assez fin de Seiche, malheureusement noyé dans un bordel de découpage et d'actions illisibles. Pourtant l'idée était assez bonne de relever les mécanismes de la BD jeunesse pour en faire un projet expérimental, mais il aurait fallu plus de maîtrise dans la narration et (encore) plus d'inventivité pour que ce soit vraiment convainquant. La dernière merdouille d'Arleston, Lord of burger (T1, Arleston & Barbucci, Soleil)(♦♦), surfe sur la mode (bon allez, l'a même anticipée) des BD de cuisine. Là c'est deux jeunes héritier d'un grand chef qui vont devoir reprendre l'affaire. Il y a un vague style shojo manga et plein de petits gags trop kawaii dedans. Non allez, c'est pas si mal mais, en dehors du sujet, classique à tous les niveaux, jusque dans le dessin archi-artificiel (mais assumé).

 

Enfin je réserve un paragraphe pour l'adaptation manga du Capital de Karl Marx (anonyme, Glénat)(♦♦), avec préface d'Olivier Besancenot, et annexes en forme de propagande pour les produits culturels estampillés NPA (ou approchant). Soyons très clair : ceux qui me connaissent savent combien réfractaire à la logique capitaliste je suis. Logique fort bien expliquée par Besancenot en préface d'ailleurs. Oui, nous vendons de la force de travail à des investisseurs qui spéculent sur notre vie et notre santé, non le capital ne nous veut jamais du bien, et il est évident que le profit est un truc qui ne sert à rien. Par contre, messieurs les inconnus qui avez pondu cette chose, on a le droit d'expliquer tout cela comme vous le faites assez bien niveau scénario (un fromager se fait convaincre par un investisseur peu scrupuleux d'augmenter sa production en montant une usine, du coup il devient un sale con, etc.), mais en faisant vraiment une BD, avec quelqu'un sachant à peu près dessiner et à peu près découper l'action. Là, au niveau artistique, on n'est même plus dans l'approximation mais dans l'amateurisme. Cela discrédite l'opinion véhiculée, déjà qu'elle l'est pas très finement et entourée de tout un paratexte propagandiste, ça n'aide pas. Une finesse, une discrétion supérieures, auraient été bienvenues. Je vais aller prendre un rhum-coco agrémenté d'un havane. Ou un coca-clope. 

 

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26 juin 2011 7 26 /06 /juin /2011 22:03

 

 

 

 

Un manga alphabétique BD de la semaine ? Mais il se moque de nous. Il n'est pas sérieux. Si, il est. Voilà bien longtemps, en dehors de lectures annexes comme celle de Berserk, qu'un manga grand public au format si banal ne m'avait ébaubi à ce point. Bride Stories (Kaoru Mori, Ki-oon)() se passe en Asie Centrale au XIXe siècle. Une nénette est mariée à un garçon plus jeune qu'elle de huit ans (elle en a vingt) et doit non seulement accepter la nouvelle, mais encore se fondre dans une famille aux moeurs éloignées des siennes. L'histoire prend la forme d'une belle romance garnie d'ellipses, de moments suspendus comme adorent les Japonais mais qu'on voit de moins en moins dans le manga moderne, la construction comme la narration ne manquent pas d'idées, ces dernières toujours orientées vers l'émotion ou la péripétie mais jamais le pathos. Aucune concession n'est faite aux facilités lacrymales. D'ailleurs, l'auteur ne cherche pas à faire osciller les scènes de drame et de comédie, on est plutôt dans une demi-teinte perpétuelle qui n'est jamais marquée ni commentée par les personnages, puisque la vie quotidienne, à cette époque et cet endroit, est comme ça, un point c'est tout. Les expressions corporelles et faciales, pour ne rien gâcher, s'épanouissent en finesse, et pour enrober encore mieux ces personnages, le dessin des costumes est bluffant, tout comme celui des meubles et autres ustensiles ouvragés. Pour couronner le tout, le couple de personnages principaux est charmant.

 

Un autre manga, radicalement opposé en tout, m'a fait son petit effet : il s'agit de Planètes (Makoto Yukimura, Panini)() en édition de luxe grand format. Vers la fin du XXIe siècle, la conquête de la Lune est largement entamée et l'exploration du système solaire n'est pas une utopie. Scénario de conquête spatiale hyper classique me direz-vous ? Absolument pas. Au lieu d'emprunter le système narratif au western, comme de coutume, l'auteur choisit le "récit réaliste" de SF. Du Flaubert dans l'espace, quoi. Un groupe de quatre astronautes est spécialisé dans la collecte des déchets spatiaux, tâche ingrate et potentiellement dangereuse mais néanmoins aussi nécessaire que celle des éboueurs. L'un d'eux, jeune et bébête mais déterminé (LE personnage-type du shonen en d'autres termes) rêve néanmoins d'intégrer une mission qui se rend sur Jupiter. Le dessin n'est pas fameux (l'impression non plus par moments d'ailleurs), les personnages classiques et stylisés, guère subtils certes, mais cette sensation de suivre des chroniques quotidiennes et intimes alors que se devinent en arrière-plan des enjeux planétaires est tout à fait agréable. Voilà l'exemple d'une fiction qui se contente d'une seule caractéristique, celle de l'angle de vue, pour bâtir tout son intérêt. Accessoirement, le découpage est souvent bien foutu. J'ai été pareillement charmé par Le Viandier de Polpette (Olivier Milhaud & Julien Neel, Gallimard)() et le dessin si particulier de Julien Neel : de grands à-plats de couleurs aux textures minimales, un trait simple et régulier, une colorisation aux teintes douces et au rendu infographique. Cela peut être parfaitement moche dans certaines cases qui ne contiennent pas grand chose (genre : un personnage endormi qui émerge d'une couverture marron), cela peut même enlever toute beauté aux deux ou trois cases de nu qu'on rencontre à un moment ; mais la plupart du temps, cela donne un style enfantin contrebalancé par les expressions sérieuses et fines des visages, par les détails des objets et des décors. Du coup, cela va très bien à cette histoire bizarre, où l'on nous présente un monde steampunk pendant quelques pages avant de brutalement le reléguer loin derrière pour se concentrer surtout sur le personnage de Polpette, génial cuisinier (il aura l'amabilité de nous livrer quelques alléchantes recettes) embauché dans le château d'un héritier oisif et gamin. Petites intrigues de cour, nombreux flashbacks pour raconter l'histoire de ce château, truculence des personnages et de leurs rapports, le fonctionnement est celui d'un vase clos confortable proposant une famille de substitution ; il n'est pas étonnant que l'on trouve en fin d'ouvrage un plan du château avec explications et quelques recettes additionnelles, autant de tentations pour prolonger l'univers diégétique.

 

Semi-ratage pour Cartigan (Dan Willett & Daniel Lish, Akileos)(), sympathique histoire de morale inversée type Planète des singes : dans le monde qui nous occupe, les humains sont esclaves et prisonniers d'un peuple de boucs arrogants. Un gosse qui ressemble à Mowgly vient foutre un peu sa merde. Regret : quand on voit le potentiel de dessin de Daniel Lish, grâce aux crayonnés en frontispice et dans le cahier graphique à la fin, on ne peut que regretter l'uniformisation qui sévit dans la plupart des cases, avec un trait hyper épais, des arrières-plans pauvres, des textures ratées. Putain, il fallait rester au crayon dans ce sépia étrange qui va si bien au passage en flashback au milieu de l'intrigue ! Double regret : le découpage des scènes d'action est atroce, on ne pige strictement rien, et la colorisation bouillassieuse n'aide pas.

 

Enfin, on passera plus rapidement sur les trois du fond. Drakka (Brrémaud & De Felici, Ankama)() peine à nous intéresser à un jeune demi-vampire qui doit subir la vengeance de son frère dans une ville crade et bordélique. C'est tellement laid et mal découpé qu'on peine à décrypter le scénario, qui a l'air compliqué mais en fait est simplement limité. Les créatures étranges et les effets de lumière ne manquent pas, fourmillent trop, c'est too much pour moi. Et pourtant c'est du Ankama, on en reconnaît même le style, eh bien là ça ne marche pas. BD alphabétique ensuite, Destins (Franck Giroud & Michel Durand, Glénat)(), où tout repose sur le concept de la série : passé ce premier tome, on pourra orienter notre lecture des suivants pour suivre plusieurs fils narratifs alternatifs. Pourquoi pas ! En plus l'idée n'est pas inintéressante, on est en présence de jeunes activistes qui organisent un braquage pour financer leur révolte du monde qu'est pas bien. Bien sûr, ça tourne mal. Mais si un micro-événement avait changé le cours des choses ? Voilà le principe. Sinon, le dessin est tout à fait quelconque pour bien montrer que c'est le scénario qui importe, mais le découpage aussi manque de classe, du coup on attendra de lire plusieurs autres tomes pour juger des qualités intellectuelles de la chose. Enfin Asymptote (Banville, Les 400 coups)(), c'est de la BD de gags en une bande de cinq ou six cases, avec une petite fille entourée d'une cour de volailles diverses, qui font et disent beaucoup de conneries. On délire pas mal, raccord avec la BD précédente, sur l'actualité, l'absurdité du monde capitaliste, tout ça. Mais c'est rarement drôle. Et pourtant je suis bon public.

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12 juin 2011 7 12 /06 /juin /2011 14:53

 

 

 

 

Rien de vraiment exceptionnel cette semaine, mais néanmoins une BD palmerisée qui se détache tranquillement en tête de peloton. Steampunk vernien, plutôt que wellsien ou victorien, L'autre monde (Rodolphe & Magnin, Dargaud)(♦♦) raconte le réveil d'un homme dans un hôpital inconnu, un homme qui a basculé à son insu dans un monde désuet, un monde scénique dans lequel le ciel est une grande toile et les étoiles de petits lampions. Désuet, le dessin l'est aussi et le découpage pareil, mais charmants, susceptibles de s'élever dans quelques envolées techniques, comme cette double-page superbe où les cases sont délimitées par les barreaux épars d'un labyrinthe d'échelles. 

 

D'autres belles choses aussi. Le premier tome de UW1 (Bajram, Soleil)(♦♦), lu sous la menace de mon collègue de travail enclavé au rayon jeunesse, s'est révélé excellent. Science-fiction saturnienne présentant un groupe de personnages classique (mais dont on subodore une exploration plus profonde dans les prochains volumes, que je vais essayer de me procurer) étudiant un phénomène physique démentiel (un grand rectangle de "rien" dressé au milieu de la galaxie), UW1 rappelle les romans de Robert Charles Wilson, sans le côté intimiste, davantage subordonné à la construction du film d'action spatial. Il y a à mon sens de grosses fautes de goût dans le dessin, qui laisse transpirer une utilisation pas très heureuse de l'infographie. Par ailleurs, quelques passages sont beaux, l'intrigue est prenante, l'émotion affleure. 

La Belle mort (Matthieu Bablet)(♦♦), c'est le passage obligé de la nouveauté Ankama. Une fois de plus, il y a de quoi être bluffé : première BD pour l'auteur, qui scénarise, exécute et colorise, tout se tient fort bien dans cette histoire urbaine post-apo (un peu style 28 jours plus tard, grosso modo), où trois ados essaient tant bien que mal de s'en sortir, tandis que des insectes géants envahissent la ville. Un one-shot très bien ficelé, au découpage propre, des architectures bien rendues, des personnages un peu quelconques malheureusement, sauf les visages très expressifs, et un dernier tiers plus faiblard que le reste, qui tasse la réalisation plus qu'elle ne l'élève.

 

On a ensuite un curieux ouvrage hybride, à mi-chemin entre le comics naturaliste américain moderne (idée, sujet, un peu pour le dessin) et le thriller franco-belge moderne aussi (en ce qui concerne notamment le découpage et le format) : Vigilantes (Gaudin & Crosa, Soleil)(♦♦), c'est le nom qu'ont donné une bande d'ados à leur groupe de "super-héros" d'une époque "camp de vacances" révolue. Aujourd'hui dispersés dans le monde, dispersés dans leurs carrières et leurs aspirations, devenus adultes en somme, ils se recontactent spontanément parce qu'un événement réveille en eux le souvenir d'un secret. Avec force flashbacks chapitrés qui éclatent les informations sur chaque personnage, cette gentille BD déroule efficacement son scénario et donne envie de poursuivre une série prévue en quatre tomes.

Pour revenir à du plus classique, on est tombé sous le charme de la couverture de Reconquête (Miville-Deschênes & Runberg, Le Lombard)(♦♦) mais comme on sait, un beau dessin chromé bleu sur orange saturé n'est pas la garantie suffisante du contenu. Plastiquement, ce n'est pas mal du tout, jolie et coloré à bon escient, très beau découpage sur certaines planches, tout ça. Mais cette para-histoire brassant des peuples (cimmériens, sarmates, Babylone, atlantes, etc.) mythologiquement associés reste trop floue, pas très intéressante au niveau de la définition des enjeux. Empathie ratée, mais profusion de nichons, mon coeur balance.

Enfin, concluons avec deux BD pas vraiment ratées (rien de vraiment raté cette semaine, c'est à noter) mais qui, enfin, quoi bon... Bloody monday (Ryou & Kouji, Pika)(♦♦) notre manga alphabétique, raconte les exploits d'un justicier hacker lycéen. Plus ça va, plus j'ai l'impression que la supportabilité d'un manga contemporain repose presque entièrement sur son idée, vaste déclinaison de possibles dont seuls les plus subtils retiennent l'attention. Ici, c'est un peu le cas, mais finalement, le traitement étant toujours le même que dans les autres shonen, ça lasse. Et puis Elinor & Jack (Arnaiz & Vilar, Delcourt)(♦♦), nouvelle série jeunesse hyper kawaii, résolument inspirée manga au niveau du dessin, véhicule une certaine bonne humeur par l'intermédiaire de ses péripéties (une jeune fille bascule dans un monde où l'on peut bouger dans encore plein d'autres mondes grâce à des portes disséminées partout), beaucoup moins grâce à des personnages fabriqués au forceps. Les ouvertures de portes fusent dans tous les sens, ça tente d'être drôle, mais je rigolais plus pour mon chat qui essayait de jouer avec les bords cartonnés de l'oeuvre, suprématie féline du jugement artistique.

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1 juin 2011 3 01 /06 /juin /2011 14:44

 

 

 

 

 

Dans un premier temps, je ne dirai qu'une chose : Blast est un pur chef d'oeuvre. Dans un second temps, j'essaierai d'expliquer pourquoi. Et c'est ainsi, cher lecteur, l'occasion rêvée de vous dire ce que j'attends d'une oeuvre, surtout en ce qui concerne les oeuvres de fiction, pourquoi je les aime ou non, pourquoi certaines me rebutent totalement quand d'autres m'abasourdissent.

 

Je pense tout d'abord qu'apprécier s'apprend. Plus on lit d'oeuvres de fiction (livres, films, bandes dessinées, jeux vidéo) plus on développe une finesse d'appréciation. Cela me paraît indéniable dans la mesure où on le veut : certains se contenteront de la consommation de l'oeuvre sous sa forme récréative et s'en satisferont. Mais cela ne me semble pas si répandu. La plupart du temps, on ne peut s'empêcher d'émettre des comparaisons entre les oeuvres, et de ce fait un jugement de valeur qui n'a rien d'infamant. Le jugement de valeur aide à se situer soi-même sur l'échelle du monde narratif, qui cohabite avec le monde réel. J'attends d'une oeuvre une seule chose au départ : du plaisir ! Tout autre résultat me semble inintéressant. Prenons un exemple inhabituel pour mieux illustrer la chose : nous regardons un meuble. Nous apprécions ce meuble à l'aune du plaisir qu'il nous procure. Aucun meuble n'a de nécessité dans notre vie. Chacun a néanmoins une valeur pratique, sentimentale, esthétique ou décorative. C'est pareil pour les oeuvres. Elles peuvent procurer diverses formes de plaisir. En ce qui me concerne, je tempère mon jugement en me basant sur quatre caractéristiques vaguement basées sur des machins définis par Carl Jung.

 

Le plaisir esthétique est permis par le beau, qui dépend d'éléments techniques : le coup de pinceau d'un peintre, la luminosité obtenue par un chef op' sur un film, le phrasé sonore d'un écrivain, la mélodie d'une musique, etc. Il est difficile d'objectiver le beau, il est évident qu'il peut être tempéré ou même nié par des considérations subjectives. Néanmoins, les consensus autour du beau sont possibles. Le plaisir sensitif ou instinctif est permis par la narration (dans le cas d'une fiction, toujours) qui dépend de la structure et de l'organisation : c'est le découpage d'une BD, le montage et l'échelle de plans d'un film, la construction d'un roman, etc. Ici la valeur qualitative sera plus aisément observée par les spécialistes et elle est essentielle parce que c'est cette caractéristique qui fait qu'une oeuvre est une fiction ou non. Elle est aussi intensément sujette à débats, car elle peut prôner une très grande fluidité et accessibilité (en littérature, c'est le point de vue d'un Hemingway, d'un Dickens ou d'un Maupassant) ou au contraire une grande complexité gérée avec brio (en cinéma, on peut citer Van Trier ou Lynch). C'est l'éternelle dichotomie du même et du différent, du similaire et de l'expérimental (je vous renvoie à un article sur Kill Bill ce sujet). Inutile de dire qui a raison ou tort, l'essentiel est que le résultat corresponde à l'intention, et voilà qui sera difficile à comprendre pour un grand public à l'oeil insuffisamment exercé. Comment faire comprendre à une personne pas passionnée de cinéma que le seul montage de 2001 l'Odyssée de l'espace en fait un grand film ? Et que dans le même temps Les Petits Mouchoirs de Guillaume Canet est une chiure atroce parce qu'il ne filme que des acteurs en gros plan pendant deux heures ? Le spectateur lambda va plutôt faire attention à l'intrigue, aux personnages, et c'est bien normal car ils font partie intégrante de la narration, néanmoins la magnification d'une oeuvre de fiction passe par l'efficacité et/ou l'expérimentation définis par le matériau narratif : les cases de la BD, les plans du cinéma, les paragraphes du roman. Le plaisir émotionnel est permis par le vrai (ou du moins son imitation), qui dépend de la sensibilité de l'artiste et de sa résonance avec celle du spectateur : c'est la catharsis que l'on cherche, et elle peut s'obtenir notamment par l'utilisation subtile des deux caractéristiques précédentes, esthétique et narrative, donc dans tous les cas par la technique. Là encore, une part de subjectivité demeure car l'on ne partage pas forcément tous les mêmes émotions par rapport à tel ou tel sujet ou situation. L'écueil artistique le plus courant est de considérer qu'il suffit de montrer l'émotion (un plan sur une nana qui pleure par exemple) pour la transmettre. Le processus est infiniment plus complexe. Enfin, le plaisir intellectuel est permis par l'idée (ou les idées) : le concept même de l'oeuvre, son "texte" (scénario, fond d'un roman ou d'une BD), ainsi que la multitude de "sous-idées" qu'elle peut contenir et qui font, pour ainsi dire, son "intelligence".

 

Ces quatre caractéristiques, entendons-nous une bonne fois, sont objectives. C'est la réception par le spectateur qui est subjective. Cessons donc de proférer cette phrase abjecte : "On ne dit pas c'est nul, on dit j'aime pas." Non, on a le droit de dire c'est nul, parce que objectivement, Marc Levy, Luc Besson et les shonen tirés à l'usine, c'est nul ! Par contre, on est en droit de retirer le plaisir qu'on veut de n'importe quelle oeuvre, et surtout de s'en foutre. Moi par exemple, j'adore un film objectivement mauvais : Mortal Kombat ! C'est ma came, c'est comme ça. À l'inverse, je suis conscient des qualités d'un film comme Le Parrain, mais je ne parviens pas à prendre de plaisir à le voir. C'est ainsi. C'est pour ça que les chroniques de ce blog sont dites "impressionnistes" : pour moi ce qui compte, c'est l'impression, c'est la frontière entre l'objectif et le subjectif.

 

Blast est un chef d'oeuvre parce qu'il m'apporte les quatre plaisirs que j'attends : esthétique, intuitif, émotionnel, intellectuel. Il suffit souvent d'un des quatre pour qu'une oeuvre narrative me plaise, avec deux ou trois je suis comblé, avec les quatre en même temps je ne m'en relève que difficilement : c'est un choc, une claque, je me sens dépassé par ce que j'ai sous les yeux tout en étant en phase avec. Je m'élève de concert. Après, il s'agit de ne pas catégoriser à outrance. L'artiste comme le spectateur peuvent avoir des prédispositions pour tel ou tel plaisir. Kubrick, par exemple, excellait sur le sentier intellectuel, il est devenu un génie du cinéma grâce à ce sentier-là ; pour autant, il affiche des faiblesses sur le plan narratif dans certains de ses films (je pense notamment à Shining), il fut souvent bien inspiré esthétiquement encore que pas toujours (revoyez Full Metal Jacket par exemple), et émotionnellement ses oeuvres étaient complètement à la rue (on sait d'ailleurs qu'il enviait beaucoup la capacité d'empathie de Spielberg). Quoi qu'il en soit, il reste important d'explorer dans une oeuvre ces quatre sentiers, et de ne pas tomber dans le jugement facile qui a trait à son "message", sa "morale", son "histoire" ou je ne sais quoi encore et qui n'a rien à voir avec l'art, plutôt avec les convictions de son auteur, ce qui est à mon sens tout à fait secondaire. Ce qu'on demande à un bédéaste, c'est avant tout de faire une bonne BD : esthétiquement, narrativement, émotionnellement ou intellectuellement réussie. S'il peut faire les quatre et saupoudrer d'un peu de surprise, d'inattendu, son oeuvre peut devenir immortelle. Ce sera très dur, car il est rare de pouvoir concilier autant de qualité. L'exemple-type, c'est parvenir à faire de l'intellectuel et de l'émotionnel tout aussi convainquants l'un que l'autre, puisque ce sont raison et sentiments qui s'opposent. À l'inverse, certaines associations paraîtront cruciales, par exemple intellectuel/narratif (une excellente idée mal racontée, tout tombe à plat), esthétique/narratif (une BD aux dessins superbes mais sans narration, c'est de l'art book, pas de la BD), émotionnel/esthétique (l'un sublimant l'autre dans une relation image/sentiment, qui agissent sur le ressenti), etc.

 

On pourrait en discuter sans fin. Je vous invite d'ailleurs à le faire dans les commentaires de cette page, susceptible d'être enrichie avec le temps.

Technique ♦♦♦♦

Esthétique ♦♦

Emotion ♦♦

Intellect  ♦♦♦♦

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31 mai 2011 2 31 /05 /mai /2011 17:33

 

 

 

 

Sans dèc', on le sentait venir. Le succès de Un dîner presque parfait, l'émission masochiste de M6. Les foutrechiées de bouquins, mitonnés par les plus grands chefs cathodiques (Thierry Marx, Lignac...). Les librairies remplies de coffrets remplis d'ustensiles variés, du moule à cake jusqu'à l'alambic moléculaire. Bref. Obligé que la BD allait récupérer le thème dans le vent de la cuisine. Sûr de sûr. Et moi la cuisine, j'aime bien. En faire, en voir, en manger. Et maintenant, en lire. L'ériger en art n'est pas chose neuve, puisque ça remonte au moins à "l'Oucuipo" de Queneau (variante de l'Oulipo), mais enfin, c'est rafraîchissant. Puisqu'un auteur de BD pas-des-moindres, comme on dit – et l'on parle de Christophe Blain – a passé des années au côté d'un grand chef que je ne connaissais pas, Alain Passard, et en a tiré une merveilleuse oeuvre séquentielle, je suis heureux. Dans la droite lignée de son Quai d'Orsay, dans lequel il rendait compte avec moult virevoltages du tempérament irréductible de De Villepin au Ministère des Affaire étrangères, Blain croque brillamment le tout aussi mouvant Passard dans sa cuisine. Obnubilé par les légumes (on aura de longs passages dans son "potager" d'arrière-pays), perfectionniste et intransigeant, le cuisinier est une forte personnalité qui rentre parfaitement dans le moule graphique de Blain. Entrecoupé de quelques charmantes recettes un peu complexes, le récit tient en saynettes dans le style "pris sur le vif" au trait ouvert qui fait toute la particularité du dessinateur. Un peu trop de texte parfois, et des scènes qui tournent un peu en rond à force, mais En cuisine avec Alain Passard (Gallimard)() remporte la BD de la semaine, je devais bien ça à son auteur qui n'avait pas été récompensé pour Quai d'Orsay sur Le Massacre, alors qu'il le méritait bien.

 

Je serai un peu plus mesuré sur les oeuvres suivantes, à l'exception d'une seule, le premier tome du Décalogue (Franck Giroud, Glénat)(), BD alphabétique de la semaine, un beau petit polar ésotérique au scénario intriguant, qui sait ménager un suspense sympathique autour d'un vieux manuscrit transformé en best-seller par un écrivain frustré. Le point-de-vue littéraire n'est pas pour me déplaire, le dessin assez chaud (pour le genre) passe bien, on a envie de savoir la suite, c'est déjà pas mal. Ensuite, ça se gâte un peu. C'est peu dire que j'attendais beaucoup de Fraternity (Juan Diaz Canales & Jose Luis Munuera, Dargaud)(), série en diptyque dont seul le premier tome est paru, du scénariste espagnol de Blacksad, une de mes préférées séries. Dans un village utopique des États-Unis, milieu XIXe siècle, fondée sur le principe de l'entraide et de la coopération, les choses se gâtent lorsque l'armée vient recruter une jeunesse présumée pacifiste. En plus, un gamin sauvage et muet fraternise avec un gros monstre, ce qui pose problème ; pour couronner le tout, certains habitants ont gardé de mauvaises habitudes individualistes et prédisent l'échec de la communauté. Salaud de Capital. On sent la bonne idée, on sent une réalisation réfléchie, gammée de sombre, découpée proprement, mais tout cela ne tient pas très bien. L'oeuvre ne prend pas corps, l'adéquation n'est pas idéale entre l'esthétique et la narration, l'intrigue est maigre, trop centrée sur les émotions des personnages qui peinent à exister. À la fin, on se fiche un peu de continuer, tout l'inverse de la précédente en somme.

 

La fournée se délite avec des BD aux concepts puissants mais mal mis en oeuvre, un peu comme Fraternity mais pire. Cité d'Argile (Milan Hulsing, Actes Sud)(), BD néerlandaise, raconte elle aussi une ville imaginaire : c'est celle inventée par un fonctionnaire du Caire pour se faire de l'argent, mais cela finit évidemment par avoir raison de sa santé mentale, et le mythe du Golem, agrémenté d'un mythe prométhéen (convoquant au passage Mary Shelley), viennent symboliser son dérèglement mégalomaniaque. L'argument est fabuleux, extrêmement inattendu, et la localisation géographique pourrait laisser présager une réalisation sortant de l'ordinaire. Dans les faits, c'est le cas : toutes les teintes sepia se succèdent, ocre-bruns oscillants, les visages sont déshumanisés, l'ambiance pour le moins kafkaïenne, la sphère publique envahissant les individualités, mais le rendu est bien trop moche, pâteux, embrouillant au lieu d'envoûtant. On n'est pas mystifiés, on est englués dans une lourde viscosité. Pour reprendre une bouffée d'air, on goûte volontiers au récit naturaliste et sans texte de Love (T1 : "Le Tigre", Brremaud et Bertolucci, Ankama)(), qui raconte la journée pas très sympa d'un tigre dans la forêt. Encore une jolie initiative, mais à la lecture ça sonne un peu creux, et le dessin se révèle trop disnéyien pour provoquer une vraie émotion esthétique. Peut-être la série prendra-t-elle plus d'ampleur avec l'apport des prochains volumes. Enfin, et ce n'est pas une blague, le manga alphabétique de la semaine, qui se nomme Blue Exorcist (Kazue Kato, Kaze)(), m'a procuré un certain plaisir ! Déjà, l'histoire est rigolote (un jeune garçon apprend qu'il est le fils de Satan et de ce fait veut devenir... exorciste !), surtout on la comprend et on arrive à peu près à déchiffrer la narration, grâce à un découpage qui ressemble presque à quelque chose, pas trop d'encarts kawaii, et des cases avec même parfois des décors, voire des objets détaillés ! Ouuuuh, ça va pas plaire aux mioches ça. 

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20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 09:18

 

 

 

 

À l'occasion de leur vingt-cinquième anniversaire, les éditions Delcourt rééditent dans de beaux formats cartonnés et chers (très beaux, très cartonnés et très chers) quelques-uns des titres mythiques qui forgèrent leur réputation, et en font aujourd'hui l'un des principaux éditeurs BD (avec Dargaud-Dupuis, Glénat et Soleil notamment). L'occasion était trop belle : le fort volume contenant le From Hell d'Alan Moore (au scénario) et Eddie Campbell (au dessin)() me tendait les bras, je n'ai pas résisté à l'offrande de le relire, et la BD de la semaine est toute trouvée. From Hell raconte une version plausible des meurtres survenus à Londres (Whitechapel pour être exact) dans les années 1880 et perpétrés par un mystérieux assassin, plus connu sous le nom de Jack l'éventreur. Intelligemment, Moore développe le récit en allant chercher loin en amont et en aval de la courte période de meurtres proprement dite. On a ainsi, non seulement une intrigue lentement (plus de 600 pages tout de même), patiemment mise en place, mais de ce fait une succession de tableaux sur le Londres de ce temps-là, ô combien fascinant (ce n'est pas par hasard que cette conjoncture spatio-temporelle est devenue un genre – le steampunk – à elle toute seule). Eddie Campbell excelle, avec une boulimie de traits et un aspect constamment crayonné, à atteindre malgré tout une expressivité incroyable ; c'est de la "précision suggérée", pourrait-on dire, et cela sied merveilleusement à ce qu'on imagine du brouillard, de la pluie et de l'ambiance sombre et nocturne. Le découpage, c'est de l'invention à chaque planche : chaque chapitre (puisque le récit, très littérairement, est divisé ainsi) recèle son propre modus operandi : cadre fixe devant lequel défile une action à ellipses, cadre noir qui s'éclaircit case à case, travelling avant (si l'on peut dire) traversant des zones d'ombre et de lumière, et j'en passe... ça fuse dans tous les sens. La lecture est âpre, exigeante, la mise en place pâteuse et morcelée, mais à la fin, c'est bien une somme que l'on a dévoré, qui a exploré avec nous les aspects psychologiques, sociaux, politiques et métaphysiques du meurtre.

 

Toujours dans le cadre de ces rééditions Delcourt, voilà que je découvre Guy Delisle et ses Chroniques Birmanes (♦♦). Avec un fort a priori de départ : moi, le côté "chroniques de voyage", surtout quand la toile de fond se veut politique, ça peut très vite me gonfler, notamment parce que l'auteur/narrateur, qui n'est pas un essayiste, risque immanquablement de se vautrer dans le discours consensuel qui sied si mal à ces situations géopolitiques délicates. Delisle, qui passe donc un an au Myanmar (ou Birmanie), dictature dirigée par une junte militaire, n'échappe pas vraiment à ces écueils. Pire, il choisit même la forme insupportable par excellence : celle du dessin mal fait exprès pour faire "pris sur le vif", avec des cases soigneusement dessinées pas droites et des personnages stylisés au possible, de façon qu'on confonde bien tout le monde – sauf lui, le personnage point-de-vue. Il parvient même à se déchirer derechef en insistant lourdement sur sa vie privée, alors que somme toute, on s'en fout. Et malgré tout cela, malgré ces défauts redoutés (prise de position consensuelle ; dessin expédié ; épanchement personnel), qu'un Florent Chavouet par exemple (Manabe Shima ; Tokyo Sanpo) parvient à esquiver avec brio, les Chroniques Birmanes se laissent plutôt bien lire. Delisle peut se targuer d'un excellent sens narratif, d'une belle fluidité, de pas mal d'humour par ailleurs, et ça fonctionne. Après Gladiator le "grand film raté", voici Les Chroniques Birmanes, "excellente mauvaise BD". À noter par honnêteté que j'avais emprunté un autre pavé Delcourt, le Ayako de Tezuka, mais pas eu le temps de le lire : ce sera pour une prochaine fois !

 

À la place, j'ai lu de la merde. Enfin, à peu de choses près. Le premier tome de Croisade (Dufaux & Xavier, Lombard)(♦♦) n'était pas inintéressant, avec une intention louable (inventer une Croisade fictive et mythologique), un dessin parfois pas dégueu (notamment les villes et architectures) mais un découpage tellement quelconque qu'il y avait finalement peu de mise en scène à se mettre sous la dent. Par ailleurs, je vous renvoie à la chronique de M. Zielinski qui, lui, homme de goût, a aimé. Côté manga, passons rapidement sur le premier tome de Bleach (Tite Kubo, Glénat)(♦♦), une bouse pas trop épaisse, dans laquelle un jeune garçon voit des fantômes et devient dieu de la mort, avec plein de morceaux de bravoure/humour/kawaii dedans. Un peu plus original et un poil mieux construit que la moyenne, avouons-le (malgré des passages, comme d'hab, totalement illisibles). Ensuite, je pense que je suis sujet à confusion à propos de Bowen (Gil Formosa, Glénat)(♦♦), une science-fiction uchronique et aérospatiale. J'ai été sidéré – outre le dessin pas très beau et terne – par le propos et le scénario, qui recycle le bon vieux conflit d'espionnage de la Guerre Froide, avec méchant Russe machiavélique, une bombasse blondasse agent double, un amerloque héros courageux, un ignoble complot communiste, etc. C'était tellement gros que je me suis demandé si ce n'était pas une blague. Peut-être. Ou alors un hommage. Aïe. Quoi qu'il en soit, c'est mauvais.

 

Enfin, je vais à la ligne, si vous permettez, pour le nouveau Bilal (Julia & Roem, Casterman)(♦♦). Une science-fiction post-apocalyptique reprenant l'intrigue du Roméo et Juliette de Shakespeare, avec des patronymes semblables et tout ça. Niveau scénario, Bilal innove quand même en plaçant un personnage – l'équivalent du frère Lawrence – qui capte lui-même être en train de vivre une adaptation de la pièce – l'occasion pour lui d'essayer d'en modifier la fin. L'idée, ma foi, n'est pas déplaisante, et le mode narratif sous forme de pavés de texte encadrés et intercalés horizontalement entre les cases (outre les phylactères bien sûr), qui m'a fait très peur au début, fonctionne correctement. Ensuite, il y a l'esthétique. Justifiée par l'histoire : on est dans une post-apo où organique et tellurique se confondent, où le monde s'est brusquement déréglé climatiquement (comme expliqué, trop facilement, dans une bête intro écrite) ; ainsi, il n'est pas surprenant que les décors, le ciel et les personnages tout à la fois, soient parés de cette unité chromatique poussiéreuse, pâteuse et terne. Mais le beau dans tout ça ? Bilal semble se réjouir par provocation d'employer tous les pigments couleur merde possibles, jusque dans la couverture, et de réussir un carton commercial malgré le caractère toujours plus expérimental de ses oeuvres. Tout au service de son esthétique soigneusement rebutante, mais recelant malgré tout une technique superbe et visible (le coup de crayon et les textures sont toujours admirables, il faut le dire), il néglige sciemment les plaisirs simples du lecteur. On pourra trouver ça délicieusement radical, ou honteusement pompeux. Pour ma part, j'oscille un peu.

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