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  • : " On a qu'à appeler ça Le Massacre alors. " Mickaël Zielinski, Nicolas Lozzi, mai 2009.
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8 juin 2011 3 08 /06 /juin /2011 10:50

 

 

Technique ♦♦

Esthétique ♦♦

Emotion ♦♦

Intellect  ♦♦

 

 

Quand on lit l'index à la fin du premier roman de Léo Henry, Rouge gueule de bois, on se dit : "Tous les romans devraient avoir un index". Celui de Léo Henry ménage une place considérable à plein de termes américains, comme des marques de bagnole, des personnes célèbres ou encore des mélanges alcoolisés (beaucoup !). D'habitude, c'est une imagerie qui me laisse indifférent ; souvent, ça finit par me toucher quand c'est fait par un Français. C'est le syndrome "Classe Américaine". Quand on lit le vade mecum à la fin du même roman, on se dit : "Mais bordel, tous les romans devraient avoir un vade mecum." Dans celui de Léo Henry, sont évoqués notamment Cristiano Ronaldo, Queens of the stone age et Tatooine, ce qui ne me le rend pas seulement sympathique, mais presque intime. Léo Henry et moi, on est super potes. Belle idée que de retracer la somme de trajectoires qui conduisent à l'oeuvre finie.

 

Rouge gueule de bois raconte le projet fou d'un écrivain de science-fiction qui a vraiment existé, Fredric Brown (dont je n'ai, à ma grande honte, jamais lu une traître ligne), et de ses pérégrinations dans le bord Sud-Ouest des USA en compagnie de Roger Vadim, un cinéaste qui a vraiment existé (dont je n'ai, à ma grande honte, jamais vu un traître film). On dirait qu'on est en 1965, mais Buzz Aldrin a mis le pied sur la lune quatre ans avant Armstrong et la fin du monde perpétrée par une engeance probablement rouge et orientale paraît inéluctable à très court terme. Au début ça ressemble à du polar. Puis du roman noir. Puis du road-story/novel/fiction. Puis de la SF. Puis de la littérature bizarre. On pourrait dire que c'est trans-genres, mais on est plus dans une logique de succession et accumulation. L'imagerie, qui sert ici de moteur, reste néanmoins constante : c'est principalement tout ce qui a trait à l'alcool. Brown et Vadim, à la recherche de Barbarella (aka Jane Fonda) qui est aussi un film de SF de ce dernier, vont passer le plus clair de leur temps à absorber des substances psychotropes. Le motif "boisson", et dans une moindre mesure le motif "bagnole", sont les véritables échafaudages de l'intrigue, ce qui ne me parle guère en temps habituel. Dans le cas présent ça fonctionne, parce qu'il y a l'écriture.

 

Rouge gueule de bois, c'est de la pure forme construite incidemment sur un fond référentiel. On savait Léo Henry susceptible d'expérimenter, c'était même en grande partie l'objet de ses nouvelles jusqu'ici (les deux recueils Yama Loka et Bara Yogoï coécrits avec Jacques Mucchielli, sa nouvelle dans l'anthologie Retour sur l'horizon). L'enjeu dans la forme longue allait être de conserver la trituration formelle qui sied bien à la forme courte, et à l'englober dans un projet narratif plus vaste sans la délier, en préservant sa densité tout en impliquant le lecteur. Maestria : c'est totalement réussi. Henry n'est pas de ceux qui vous enfouissent dans un fauteuil moelleux, mais il ne vous allonge pas non plus sur une planche à clou en appuyant bien fort. L'écriture de Léo Henry, c'est un récit raconté sans tabouret les coudes posés sur un zinc, il vous paye tournée sur tournée en prenant soin de varier les alcools et veille au juste enchaînement des plaisirs possibles.

 

La construction est relativement classique, découpée en chapitres. Les ellipses entre chaque fin et début de section ne sont jamais bien longues (parfois même inexistantes, de "moment à moment"), elles maintiennent une continuité de la narration qui est unifiée par le travail stylistique ciselé et, on l'a dit, l'imagerie américanisante constante. C'est d'ailleurs un petit regret que je ne peux m'empêcher d'émettre : à quand une fiction française fascinée par sa propre culture, pourquoi toujours celle des autres ? Pourquoi ne pas glorifier en texte le Calva, le tourton et le pâté auvergnat ? Mystère. Quoi qu'il en soit, seuls varient les genres convoqués, et même les sous-genres, de plus en plus abstraits et improbables. Léo nous fait la grâce de ne pas avoir de "message". Il ne pense qu'à notre plaisir. Loué soit-il. Il ne manque pas grand chose pour que Rouge gueule de bois soit un roman parfait, mais l'on sent l'auteur encore un peu prisonnier de la nouvelle, et vers les deux tiers du texte, la recherche d'un second souffle se fait sentir. C'est qu'il y a un tel boulot de fait pour propager la beauté de l'écriture, pour donner de la spontanéité à un projet expérimental ; passé un moment, c'est dur de rester aussi constant sur 300 pages. Mais Léo Henry sera l'auteur du chef d'oeuvre (j'entends : capable de créer un consensus) de genre que la SF attend depuis dix ans, depuis, mettons les pieds dans le plat, La Horde du Contrevent de Damasio. ll va le faire. C'est sûr. Je ne voudrais pas non plus mettre la pression.

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