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  • : Le Massacre
  • : " On a qu'à appeler ça Le Massacre alors. " Mickaël Zielinski, Nicolas Lozzi, mai 2009.
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3 janvier 2012 2 03 /01 /janvier /2012 19:49

 

Technique ♦♦♦♦

Esthétique

Emotion ♦♦

Intellect  ♦♦

 

 

 

Depuis quelques temps – les lecteurs attentifs l'auront noté, je cherche à faire succéder à chaque lecture science-fiction un classique de façon à alimenter les rouages douteux qui me servent de cerveau. Malgré ma méfiance envers toute littérature française du XIXe siècle (sauf Maupassant, auteur extérieur au temps), due à une détestation du romantisme et son lyrisme exacerbé, et je ne parle même pas de l'aversion profonde que je ressens pour l'écriture de Zola, je me suis lancé à l'assaut d'un monument, eu égard à son statut (méfions-nous des statu(e)ts). Dans une vieille édition à dos cousu et imitation cuir "France Loisirs", Madame Bovary m'appelait à travers les étagères. La très chère Emma ne pouvait deviner qu'elle serait l'objet d'une de mes lectures les plus plaisantes depuis longtemps, une manière épatante de démarrer la jolie année 2012 et la fin prochaine du monde.

 

Voici donc un morceau de l'histoire et vous verrez rapidement, non seulement qu'on s'en contrefout, mais que Flaubert lui-même n'en avait rien à péter. Le petit Charles Bovary entre dans une nouvelle école, dans une bourgade des alentours de Rouen, et subit les railleries de ses petits camarades. On dirait du Jules Vallès. Le narrateur tient une place floue et flottante : il est censé être un collègue de classe du ridicule "Charbovary" mais la précision de ce qu'il va pouvoir raconter sur la vie de ce dernier font de son rôle une impossibilité narrative dont on ne se soucie guère. Toujours est-il que Charles mène une vie très chiante : il devient médecin et par l'entremise d'un fermier malade il rencontre Emma, sa future femme. La focalisation (même si touours à la troisième personne) glisse habilement de lui vers elle. Passé le premier quart du texte, elle devient essentielle, le récit se centre sur ses malheurs de femme qui s'ennuie, ses déboires et leur fatale conclusion ; le festival commence.

 

Ah, Emma, Emma, Emma. Emma Bovary est la plus grosse conne de l'histoire de la littérature. Flaubert décrit avec sa manière réaliste (nous y reviendrons) à quel point sa niaiserie récidiviste peut la précipiter dans des gouffre toujours plus grands – au fond dequels elle se jette avec allégresse. Il n'y a guère que la grande Duras pour la concurrencer dans ce registre. Ainsi Mme Bovary va-t-elle d'abord accepter son mariage, puis s'emmerder à Yonville, prendre un amant, se faire jeter, endetter son ménage, reprendre un amant, précipiter la chute financière du foyer, se faire jeter à nouveau, puis enfin se suicider bêtement. Mais quelle conne. Le discours de Flaubert, c'est que les prémices de la libération féminine, alors essentiellement intellectuelle, s'accompagnent d'une bigotterie opportuniste et de lectures débiles nées de l'oisiveté, du mépris également, et qui conduisent au fanatisme d'une vie passionnelle annulée aussitôt par une structure sociale rigoriste. Dépourvue de lucidité mais pas d'ambition, Emma se consumme par satisfaction personnelle. Flaubert adresse une droite violente au romantisme (je pense que c'est là l'objet du roman), en profite pour égratigner tout ce qui se peut imaginer dans la situation décrite : intellectualisme pédant et stérile du verbeux pharmacien (un personnage prototypal et très drôle), faiblesse morale de Charles, opportunisme du cureton, etc.

 

Ne pas croire néanmoins que le ton est potache ; la violence (sexuelle notamment, physique lors du dénouement, latente tout le temps) est superbement présente. Et c'est là qu'on aborde la partie la plus pétillante de la fiction, celle que je me réservais pour la fin : l'écriture. Et je risque la redite, je ne vais pas pouvoir exprimer beaucoup mieux ce que tout lecteur un peu cultivé sait déjà depuis des siècles : putain, que Flaubert écrit bien. Et avec une modernité ! Rien à voir avec les Balzac, Gautier, et autres lyristes de l'époque. C'est une pondération constante du rythme, une sonorité qui ne cède jamais à l'emphase, des images qui ne cèdent jamais au symbolisme, et c'est drôle, mais drôle, d'un humour sarcastique qui complète le pathétique, de nombreuses fins de phrases, de paragraphes, semblant des chutes, des gags. Voilà ce qu'on peut appeler "l'écriture réaliste" : un style qui dépeint le monde tel qu'il est, tout en ne refusant pas d'y inclure une part d'image, d'esprit, contrairement à l'austérité d'un Zola. Flaubert est un illustrateur, pas un naturaliste.

 

Emma, tu es une peinture.

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