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  • : Le Massacre
  • : " On a qu'à appeler ça Le Massacre alors. " Mickaël Zielinski, Nicolas Lozzi, mai 2009.
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1 janvier 2012 7 01 /01 /janvier /2012 12:15

L'autre soir, nous décidâmes que les programmes télévisés ne nous convenaient point, quand bien même nous étions prêts à regarder "Les Maçons du coeur", "Joséphine ange gardien" ou encore une rediffusion des Sous-doués. C'est donc consternés que nous nourrîmes le lecteur de disques. Le hasard allait nous faire orchestrer un match à mort entre deux cinéastes contemporains qui ne manquent pas de style, et qui se trouvent être parfaitement opposés à bien des points de vue malgré des thématiques et des motifs communs.

J'ai déjà touché un mot de ce qui peut réunir eXistenZ et un autre film de Nolan dans la chronique de  Inception, mais le rapport avec Le Prestige n'est pas inintéressant non plus. Dans le cas d'Inception, le rapport était un motif (celui de l'échappatoire à l'intérieur de l'esprit, et surtout de la manière dont on y parvient), mais avec Le Prestige, c'est surtout une thématique semblable qui émerge : celle du pouvoir de la fiction.

 

[Et je rappelle ceci : sur Le Massacre c'est SPOILER SPOILER SPOILER à foison !]

 

 

Technique ♦♦♦♦

Esthétique

Emotion ♦♦

Intellect  ♦♦  

 

 

 

eXistenZ nous raconte un séminaire, une séance de test de jeu à réalité virtuelle qui se déroule dans une église (le détail a bien sûr son importance) avec la participation de la plus grande conceptrice de jeux au monde, jouée par Jennifer Jason Leigh. C'est sa dernière création, "eXistenZ", qui provoque l'enthousiasme des protagonistes de ce séminaires, extasiés de jouer en avant-première au jeu ultime, et en plus avec la super-star qui en est la conceptrice. Jude Law est un commercial stagiaire qu'on a affecté à la "sécurité"... et voilà justement que Leigh est victime d'un attentat : elle se fait tirer dessus par un jeune homme se déclarant de la cause "réaliste" et réfractaire au virtuel ludique. Sa blessure n'est que superficielle mais elle s'enfuit avec Jude Law en bagnole car elle n'a plus aucune confiance en la société qui l'embauche.

Voilà qui peut superficiellement résumer l'exposition de ce film. Mais c'est bien peu de chose en regard de "l'ambiance". Tout est question d'ambiance dans eXistenZ, et par ambiance je veux surtout dire un ensemble de principes de mise en scène légèrement décalés par rapport aux conventions. On n'est pas dans du pur expérimental, ni même dans la volonté de destructuration d'un David Lynch, mais plutôt dans l'instauration de légères variations de cadre et de son par rapport à ce qui pourrait de prime abord sembler "un plan idéal". Cronenberg insiste pour décadrer légèrement un visage, proposer un champ qui rend certes l'action lisible mais pas de la manière la plus commode, installer des musiques et effets sonores inattendus, le tout emballé dans une esthétique verdâtre inquiétante et maladive. C'est bien sûr la perte des repères qui est recherchée, mais pas une perte totale, juste un égarement partiel, qui nous rappelle sans cesse que nous regardons une fiction et nous empêche d'être totalement immergés, juste maintenus sous la ligne de flotaison de la captivation ; ainsi, l'effet est bien plus terrible : nous avons conscience d'avoir la tête maintenue sous l'eau.

 

 

Avec un plan comme celui-ci, la dimension sexuelle du "branchement" à un pod devient évidente, non seulement par l'aspect organique de l'appareil, mais aussi grâce à l'orifice que l'on distingue dans l'épaule de l'excellente Jennifer Jason Leigh.

 

C'est le système qu'a découvert Cronenberg pour nous faire éclater à la gueule le pouvoir de la fiction... et surtout d'un certain "genre" de fiction. L'église n'est bien sûr pas un lieu anodien pour tester des jeux à réalité virtuelle : c'est le lieu où, dans le monde réel, nous prêtons notre croyance à une entité supérieure. Jouer, c'est exactement pareil : nous prêtons également notre croyance en un espace-temps narratif qui n'est pas réel. La différence fondamentale, c'est que nous savons que le jeu est une fiction, tandis que la religion, elle, nous demande de la laisser contaminer notre vie, notre réel. Le film raconte les péripéties de deux personnages confrontés à une réalité douteuse : le monde dans lequel ils se trouvent, nous le connaissons, c'est une église donc, des forêts, des gens, une station-service. Mais grâce au montage et à l'esthétique de Cronenberg, il y a cette "ambiance", et tout paraît bizarre. Les personnages eux-mêmes, surtout Jude Law, trouvent ça bizarre. Le film ne contient aucune imagerie de science-fiction au départ, mais voilà que l'on découvre ces étranges "pods", systèmes de branchement organiques pour accéder au virtuel ; puis, bien plus frappant, nous voyons (lors de la scène de la station-service) une étrange petite créature à deux têtes que Jennifer Jason Leigh accueille avec plaisir et curiosité. Ainsi, nous sommes bien dans une SF, oh un futur proche sans doute, rien n'est précisé ni temporalisé, mais c'est de l'anticipation tout de même. Et justement, les deux personnages principaux fuient des fanatiques adeptes du "réalisme".

Ce que nous dit Cronenberg, en somme, c'est que l'homme contemporain et futur ne croit plus en la religion, qui phagocyte trop l'individu en lui demandant un trop grand investissement en croyance, et qu'il doit donc placer sa croyance ailleurs, dans un système qui ne va que lui emprunter avant de lui rendre, bienveillant ("eh, ce n'était qu'une histoire"). Ce système, c'est bien sûr la fiction. Mais pour être plus précis, nous dit Cronenberg, parmi toute forme de fiction, c'est l'exagération propre à l'imaginaire, donc la SF, le fantastique, le gore, qui donne la coloration la plus convaincante, puisqu'elle affirme dans son aspect son inexistance (dans le vrai monde, il n'y a pas de batracien à deux têtes) ; et encore plus loin, la forme de fiction ultime puisque c'est aussi la forme originelle, c'est le jeu. Le jeu, le "faire comme si", c'est la base de toute histoire racontée. C'est pour ça qu'on parle de jeu d'acteur et de jeu pour dire "système" (le jeu de la guerre, le jeu de l'amour et du hasard) ; sur ce sujet, je vous renvoie à Roger Caillois qui détaille ça mieux que moi, mais l'idée, c'est que le jeu peut permettre aux joueurs (on peut remplacer par "lecteurs") d'avoir une grande latitude d'action ou au contraire très peu. C'est l'échelle qui sépare le ludus (l'ensemble des règles) de la paidia (l'ensemble des libertés). Dans le jeu "eXistenZ", c'est le ludus qui l'emporte, le jeu semble mal callibré, trop invasif, les réactions des êtres sont mécaniques (merveilleuse direction d'acteurs au passage)... mais c'est parce que, au niveau "église/station-service", si je puis dire, on est déjà dans un jeu... qui lui, laisse trop de paidia, et permet à un fanatisme de se développer (même si ce fanatisme, celui de Law et Leigh, on ne le soupçonnait pas au début).

 

 

 

 

Mon impression, c'est que Cronenberg se dédouane dans eXistenZ : il s'excuse d'avance parce qu'il sait que ses prochains films ne proposeront plus (ou peu) l'imagerie gore, baroque et imaginaire qui a fait son oeuvre jusqu'ici, qu'ils seront des films de maturité, empreints de classicisme (ce seront A History of violence et Les Promesses de l'ombre). Il rappelle avant d'aborder ce nouveau pallier de sa carrière qu'il ne renie en rien le pouvoir de la fiction d'imaginaire, celle qui brouille la réalité. Sur ce point je peux me tromper. Là où je me trompe sans doute moins, c'est quand j'affirme que le Canadien – au sujet duquel j'ai du mal à être objectif vu l'adoration que je lui voue – signe là un très grand film, fin, profond et maîtrisé, drôle et lugubre, une formule hermétique rendue limpide par la grâce des alambics.

 

 

Technique ♦♦

Esthétique

Emotion ♦♦

Intellect  ♦♦

 

 

Le Prestige emprunte des chemins différents, et surtout un aspect formel beaucoup plus balisé, pour raconter la même chose. Fin XIXe ou début XXe, deux illusionnistes se déchirent pour la gloire, la réussite professionnelle et maritale, et éventuellement Scarlett Johanson. Ce qui est surtout intéressant, dans le scénario (et donc dans le magnifique roman de Christopher Priest), ce sont les options prises par chacun des deux protagonistes pour assurer leur Prestige (pris au sens littéral mais aussi comme dernère partie glorificatrice d'un tour de magie). L'idée, c'est que le pouvoir de la fiction (et le tour de magie en est une, au sens d'un mensonge temporaire qui convoque la croyance, voir plus haut) peut s'exprimer par deux sortes de techniques : la technique scentifique, utilisée par l'un des deux magiciens par l'entremise d'une machine inventée par Nikola Tesla, ou la technique littéraire, qui consiste pour l'autre magicien en un secret, un mensonge qui porte sur l'ensemble de sa vie. Dans l'un et l'autre cas, la technique ultime consistera à se transporter instantanément d'un endroit de la scène à l'autre ("L'homme transporté"), donc un télé-transport, par le biais de cette technique, parabole évidente de l'image filmée. Cette opposition scientifique/littéraire, pour basique qu'elle soit, et que chacun de nous vit depuis le collège, prend tout son sens sous cet angle de vue. Et on peut de nouveau la rapprocher à l'objet du "pod" de Cronenberg, mi-organique mi-technologique.

 

 

 

 

L'histoire d'affrontement prend largement le dessus sur la réflexion sous-jacente, contrairement au film de Cronenberg, et si un montage parallèle triple dynamise considérablement l'oeuvre (qu'on se le dise, le montage c'est LE point fort technique de Nolan), celle-ci reste curieusement atone à cause de la sempiternelle esthétique clinique du cinéaste. On peut aussi regretter quelques facilités que Nolan saura gommer plus tard, par exemple des inserts explicatifs inutiles, une trop grande anticipation dans l'éclarcissement des mystères (on comprend beaucoup trop vite qui est réellement l'homme de main de Christian Bale), ou encore l'embauche de l'inutile gourdasse Scarlet Johanson, dont le rôle prend une trop grande importance en rajoutant un vernis hollywoodien évitable au film (problème similaire à l'apparition de Cameron Diaz dans le Gangs of New-York de Scorcese). Il n'empêche que, en grande partie grâce au formidable matéiau romanesque de Priest et aussi grâce à une construction bien foutue, on l'a vu, niveau montage, Le Prestige est le meilleur film de Nolan à l'exception d'Inception, qui allait concrétiser à la fois la thématique et l'esthétique ébauchées dans une réussite beaucoup plus pleine et sans fautes.

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