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  • : Le Massacre
  • : " On a qu'à appeler ça Le Massacre alors. " Mickaël Zielinski, Nicolas Lozzi, mai 2009.
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17 novembre 2009 2 17 /11 /novembre /2009 13:19


Dans l'optique du Yellow Submarine consacré au Japon, que chacun attend fermement je n'en doute pas, je lis pas mal de documents relatifs à la culture et aux arts narratifs japonais, notamment sur Internet. Mais parfois, un bon bouquin me tombe dans les mains ou, comme celui-ci, gifle mon regard sur une table de librairie. En plus de sa très jolie couverture (dépliable pour former un chouette poster), l'ouvrage est très réussi techniquement (à part un dos carré collé un peu fragile) : papier glacé brillant sur 300 pages, bourrées d'illustrations aux couleurs très bien rendues (malgré, nous le verrons, la vétusté des documents scannés) et une mise en page assez réussie en ce qui concerne l'iconographie, un peu moins pour le texte (police de caractère trop mécanique, trop grosse, trop noire et justifiée en drapeau). Bref, j'allais me régaler, sans même faire très attention au sujet du bouquin. Qui s'avéra absolument passionnant.

Il est, en effet, question du kamishibai. Mais qu'est-ce donc, me demande le lecteur ébaubi ? Eh bien, le kamishibai est une forme, tombée en désuétude, de théâtre de rue japonais, qui ressemble en fait davantage à nos lanternes magiques ou spectacles de marionnettes occidentaux qu'à des scènes proprement dites. D'ailleurs, ces formes narratives connurent leur apogée à peu près en même temps – ce me semble... – puisque l'âge d'or du kamishibai est à peu près compris entre la fin des années 1920 et la fin des années 1930, avant qu'il ne meure presque naturellement lorsqu'on installa, dans les années 1950, des télévisions en plein air dans tous les parcs du Japon. Bon, tout ça ne nous dit pas ce qu'est vraiment le kamishibai : jugez plutôt. Un "présentateur", le kamishibaia, interpelle un groupe d'enfants à leur sortie de l'école. Il leur vend quelques bonbons confectionnés par ses soins (c'est ainsi qu'il gagne sa vie) et, pendant qu'ils savourent, attire leur regard en direction d'une mini-scène qui évoquerait de nos jours un écran de télé creux. Derrière ce "cadre", il fait défiler des tableaux peints de sa main qui, mis à la suite, déroulent une trame narrative ; dans le même temps, il raconte l'histoire et joue les dialogues en changeant de voix ; c'est, en quelque sorte, de la BD interactive.




 

Cette forme d'art narratif fait fureur au Japon (si mes souvenirs sont bons, au plus fort du succès du kamishibai, un enfant japonais déclare avoir vu en moyenne 4 spectacles par jour !) mais, contrairement à ce que l'on pourrait croire, elle ne s'inspire qu'en petite partie de la tradition artistique japonaise. C'est, en effet, le comics américain, dont le succès est énorme dans les années 1930 de la Grande Dépression, qui influence considérablement les auteurs de kamishibai de la même époque. Les reproductions qui foisonnent dans le bouquin sont limpides à ce sujet : les histoires racontées sont des succédanés des récits de super-héros ou encore des polars et films fantastiques hollywoodiens de l'époque (c'est, il faut le rappeler, la grande période la Universal aux States). Bref, la source du kamishibai est essentiellement américaine (j'ai d'ailleurs constaté avec stupéfaction que dans l'Imaginarium du Docteur Parnassus de Terry Gilliam, Christopher Plummer présente dans la scène finale un spectacle de rue qui ressemble de façon frappante au kamishibai !). D'ailleurs, le découpage narratif des scènes évoque immédiatement des plans cinématographiques et reproduit des schémas éprouvés : gros plans qui succèdent brusquement à des plans d'ensemble, utilisation de la plongée/contre-plongée pour asseoir la domination de certains personnages sur d'autres, symbolique du cadrage, etc. Pour autant, la technique de représentation, le dessin en lui-même, est un savant mélange de BD américaine (surtout pour les personnages) et de peinture japonaise traditionnelle (pour les décors).

Tout ceci fait du kamishibai un médium absolument fascinant. Le texte de Eric Nash, bien qu'un peu confus dans le découpage, est fort bien foutu et diablement intéressant. On apprend ainsi que le kamishibai prend une nouvelle tournure à l'approche de la Seconde Guerre Mondiale. Les autorités japonaises, qui peu de temps avant le considéraient comme un spectacle pervertissant pour les enfants (réaction universelle à tout ce qui connaît du succès auprès du jeune public), décident de se servir de cet outil très puissant pour véhiculer les valeurs guerrières, le sens du sacrifice et la haine de l'Américain (rappelons-nous que le Japon est relié à l'Axe lors de cette guerre) : quel paradoxe ! Après guerre, c'est encore plus drôle : les Américains contrôlent le territoire japonais de 1945 à 1952, et bien entendu, eux aussi entendent profiter du pouvoir d'attraction du kamishibai ! Ainsi, ils font main basse sur les ateliers de production des tableaux et imposent des histoires qui mettent en scène de façon positive l'entreprise de globalisation culturelle opérée : c'est ainsi que fleurissent les kamishibai à la gloire du mode de vie américain, tout remplis de base-ball, de casquettes et de westerns ! Tout ceci s'arrête quelques années plus tard, puisque, nous l'avons vu, la modernisation du Japon et l'irruption de la télévision sonnent le glas du théâtre de papier.



Le bouquin, notamment par son sous-titre (Du théâtre de papier à la BD japonaise) tend à nous flouer quelque peu : il ne sera quasiment pas question de manga dans cet ouvrage, et qui plus est, le kamishibai n'est pas à l'origine de celui-ci. Le manga, en fait, préexiste au kamishibai (il naît au XIXe siècle) et connaît son essor parallèlement à lui. Simplement, le kamishibai aura une influence considérable, effectivement, sur la BD japonaise, tout simplement parce que la plupart des auteurs et dessinateurs de kamishibai, se retrouvant sans emploi à la fin des années 1950 par désaffection du public, se tournent vers les revues de manga pour subsister. C'est ainsi que des gimmicks du kamishibai (cadrage et découpage cinématographique, grands yeux expressifs, héros au pouvoirs étranges, omniprésence des genres SF, fantasy, polar et fantastique) sont transmis au manga, ce qui n'est quand même pas rien et explique bien des choses. En filigrane de ce bouquin fort bien foutu, on comprend mieux l'évolution des arts narratifs au Japon au XXe siècle : d'abord influencés par les hégémoniques figures américaines, ils se posent d'emblée la question du choix entre tradition et modernité, et optent pour une voie médiane ; après-guerre, sous l'impulsion de la modernisation, le traumatisme de la destruction et de Hiroshima les pousse à développer des thématiques et des formes spécifiques qui se retrouvent notamment dans la SF : le kaiju (ou gros monstre nucléaire), le robot imbriqué à l'homme, l'apocalypse, et du côté de la fantasy la revisitation des légendes traditionnelles.
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commentaires

C
<br /> mais c'est pas un film sa!!!<br /> <br /> <br />
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