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  • : Le Massacre
  • : " On a qu'à appeler ça Le Massacre alors. " Mickaël Zielinski, Nicolas Lozzi, mai 2009.
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2 novembre 2009 1 02 /11 /novembre /2009 10:20

Technique ♦♦

Esthétique

Emotion

Intellect  ♦♦

Je-suis-allé-voir-le-dernier-Jeunet, pourrons-nous dire à présent. Je fus très attentif, à une époque, à ce que faisait le bonhomme. Intéressé par son ultra-mondialement-connu Amélie Poulain, qui le sacralisa frenchie representant, je découvris ou redécouvris par la suite l'ensemble de sa filmographie, en n'étant réellement abasourdi que par l'excellent Delicatessen, délicieuse fable satirique des années 1990. Par la suite, Un long dimanche de fiançailles m'avait absurdément refroidi : trop clinique, pas assez beau, un peu engoncé, bref, pas convaincu. C'est l'esprit distrait que nous nous rendîmes donc dans un méga-complexe-pop-corn pour y visionner le dernier du cru, ce malgré une affiche frisant le trop gros (il est à noter que le véhicule vert dont émane la lumière en arrière-plan ne sert quasiment à rien).

 

Ci-gît Dany Boon, loueur de DVD abattu un soir par une balle perdue, et dont l'enfance malheureuse fut émaillée par le décès du père, démineur qui mit le pied où il ne faut pas. Enfin, il ne gît pas tout à fait, le Boon, puisque le projectile reçu en pleine tête a décidé de se faire un petit nid dans la boîte crânienne : le bienheureux est sauvé, mais rendu un peu glissant mentalement par une séquelle prévisible. Comme il peut mourir à tout moment, il se forge de petits memento pour survivre à chacune de ses crises, qui l'aident à se concentrer et à nous amuser avec des petites phrases et des petites "vignettes" (nous y reviendrons) rigolotes. Toujours est-il que, privé d'emploi, il se retrouve à la rue avec dans la tête un projet de vengeance : c'est qu'il a identifié les multinationales qui ont fabriqué, l'une la mine qui tua le paternel, l'autre la balle qui l'handicapa, et on sent qu'il a bien envie de foutre la merde en icelles, mais on ne sait de quelle manière. Tout seul, il n'eût pu aller bien loin, mais voilà qu'une bande de malades de la récup', parrainés par Jean-Pierre Marielle, l'accueillent dans leur petite communauté foutraque et entendent le soutenir dans ses échaffaudages de plans.




Ca a l'air sympa, L'Arme fatale VI.



Ainsi, au niveau du scénario, Jeunet fait-il quasiment du Dupontel (l'intrigue est proche de Enfermés dehors par exemple) mais il est impossible de se tromper sur la marque de fabrique : lors d'une scène d'exposition toute en moments volés truffés de détails qui nous font tout piger en un rien de temps, on apprend tout ce qu'il faut savoir sur le personnage de Dany Boon, un peu à la manière de Pixar dans Là-Haut, récemment. La bonne idée, c'est qu'au lieu de la sempiternelle voix-off narrative de Amélie Poulain, Jeunet se sert de la mise en scène pour introduire son univers. Très bon point. L'univers, en l'occurrence, c'est encore une fois un Paris totalement fantasmé nocturnement féérique, passé à la moulinette nostalgique de l'inévitable filtre jaunâtre préféré du réalisateur. On aime ou on aime pas, le rendu visuel n'est pas dégueulasse, ça identifie le cinéaste, j'ai envie de dire : soit ! Par contre, le début du film s'engage sur un terrain très glissant. Le côté "vignettes" des petites scènes de présentation nous avait déjà alertés, il se poursuit pendant un petit moment, et la cohérence narrative s'en ressent. Certes, les transitions sont bien foutues, la caméra reste dynamique, il y a cent petites astuces à la seconde, mais on craint la fable à la con, ce que le film sera un peu, mais finalement pas tant que ça.

 

En effet, tout va mieux une fois que les enjeux de l'intrigue sont définis. Auparavant, on a franchi le passage obligé de la présentation des personnages. C'est Marielle (qui joue très mal) qui sert d'intermédiaire, et qui nous introduit ainsi que Dany dans la cave bordélique des gentils bricoleurs. L'endroit est étonnant, fort bien éclairé, les personnages par contre (à l'exception de celui de Dominique Pinon, très bon, que j'adore) sentent le rance. C'est bien beau, cette volonté de les croquer par un ou deux traits de caractère, une obsession et trois mouvements-clé, mais ça les appauvrit beaucoup, ça les empêche d'exister, et les acteurs, mal dirigés sans doute, n'aident pas (c'est fou par exemple à quel point Yolande Moreau force le trait, et je ne parle même pas de la contorsionniste qui en fait des caisses tellement elle veut imiter La Strada de Fellini). Du coup, eh bien, cette scène où l'on découvre ce microcosme est terriblement laborieuse, étriquée, mal foutue. Ceci dit, on reste dans une certaine logique, puisque, on le découvre, le film ne s'appuie finalement pas sur ces personnages secondaires, qui resteront des adjuvants très effacés, et assez vite (heureusement) est posé le véritable enjeu du film : la confrontation entre l'individu (soutenu et accompagné) et les hégémoniques multinationales de l'armement qui ont bousillé sa vie, symbolisées par leurs deux directeurs, qui eux sont formidables : André Dussolier et Nicolas Marié, qui sont les vrais acteurs, les vrais personnages et les vrais sujets du film. J'irais même jusqu'à dire que Jeunet nous embarque volontairement sur une fausse piste en nous laissant augurer d'une galerie de portraits à la Amélie Poulain (dont c'était le véritable intérêt) puis en nous aiguillant brusquement dans une autre direction, à partir d'une scène-clé qui se passe sur le toit d'un immeuble. La composition du décor rappelle immédiatement quelque chose : "mais oui, c'est le toit de l'immeuble de Delicatessen !". Confirmation : Dany Boon, qui infiltre un micro dans plusieurs cheminées pour épier l'un des deux directeurs, tombe fortuitement sur un mini-concert de violoncelle et de scie musicale, et l'on reconnaît immédiatement la petite musique de, encore une fois, Delicatessen (c'est d'ailleurs carrément Dominique Pinon qui y reprend son rôle). Après ce petit intermède, Boon repère enfin l'appartement du grand méchant, et c'est là qu'on pige l'enjeu de l'histoire. Auto-citation et pied-de-nez : "Non, ce n'est pas du Amélie que je vais faire", nous dit Jeunet, "c'est du Delicatessen, c'est de la fable politique." On avait d'ailleurs été prévenus par une séance de maquillage de Dany Boon, qui se dessine autour de l'oeil les cils caractéristiques du Orange mécanique de Kubrick.




Il ne se passe jamais vraiment des trucs comme ça sur les quais parisiens, les enfants.
 

 

Ca y est, on a tout compris, et le film nous le confirme : enfin, il laisse tomber les vignettes (pas vraiment en fait, elles restent présentes mais surcadrées, cantonnées aux délires mnémotechniques de Boon par exemple), il s'engage dans un déroulé fluide et exaltant de la résistance contre les deux ennemis : le but sera bien sûr de les confondre en les montant l'un contre l'autre ! Ce qui est vraiment couillu de la part de Jeunet, c'est de s'attaquer aussi frontalement, en situant son action dans le "ici et maintenant", au système politique français. Derrière Dussolier et Marié, ce sont bien sûr des Lagardère et des Dassault qui sont tournés en ridicule, dénoncés, malmenés, et quasiment cités ! Dans deux plans distincts, on distingue clairement une photo de Dussolier à côté de Sarkozy (et lui-même confirme à l'oral qu'il est "un ami proche du Président"), et plus fort encore, le pouvoir décisionnaire des médias est démontré : Jeunet ne s'embarrasse de rien, fort de sa frenchie légitimité, il balance des logos de M6, de LCI, de France 3, sans se démonter ! La charge est un peu grossière et caricaturale par moments, mais tellement jouissive, et l'initiative est si inattendue ! Vraiment, je ne pensais pouvoir voir ça que chez un Dupontel, et Jeunet me cloue le bec.

 

En plus, il se paye le luxe de faire vivre son film au-dessus de ces considérations de fond, et la qualité globale est très élevée : les scène vivent bien, sont merveilleusement spatialisées, on a une large échelle de plans, de nombreuses gourmandises de cadrage (très nombreux plans en plongée, toujours des plans d'ensemble pour amorcer une scène, beaucoup de fourmillements dans les arrière-plans). Surtout, il fait du Jeunet en étalant peut-être plus que jamais son obsession pour les mécanismes : qu'il s'agisse de plans échaffaudés et millimétrés ou d'objets inutiles animés, c'est vraiment la marque de fabrique de ce cinéaste (par exemple, lorsque Dany Boon fouille dans une benne à ordure pour trouver des objets de récup', il ne va pas se contenter de les ramasser et de les amener à son véhicule, non : il construit un mécanisme qui va tout acheminer tout seul, pour le plaisir). Le truc très intéressant, c'est que du coup, de nombreux plans sont uniquement occupés par des objets, ce qui aère considérablement les scènes et les nettoie un peu de la présence parfois envahissante des personnages secondaires. Le truc un peu raté, au final, c'est peut-être l'aspect comédie et la volonté de faire des gags qui ne fonctionnent pas trop. Moi-même j'en fis un très bon en sortant de la salle lorsque je dis à ma douce que nous n'irions pas voir le Terry Gilliam qui sort dans deux semaines. C'était une blague bien sûr, et nous y serons, le jour même de la première diffusion.
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