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  • : Le Massacre
  • : " On a qu'à appeler ça Le Massacre alors. " Mickaël Zielinski, Nicolas Lozzi, mai 2009.
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3 janvier 2010 7 03 /01 /janvier /2010 21:33

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Technique 

Esthétique 

Emotion 

Intellect   

 

Vous l'aurez remarqué, les chroniques se font rares ces temps-ci sur Le Massacre. Ce sera comme ça, sporadiquement alimenté, jusqu'en mars environ, date à laquelle j'aurai enfin terminé les quelques boulots d'écriture qui m'occupent depuis six mois. En ce moment, c'est difficile : mes moments de calme sont consacrés à de toutes autres activités scripturales que celle consistant à garnir ce blog. Pour autant, il est des événements qui méritent d'être retranscrits, et en gros caractères. La sortie de Max et les Maximonstres en fut une, en soi, parce que j'avais lu gamin le magnifique album jeunesse de Maurice Sendak, réalisé en 1963, et qui contribua à révolutionner la littérature enfantine. Pour la première fois en effet, des illustrations destinées aux plus jeunes âges n'hésitaient pas à exhiber une collection de monstres, dont l'aspect évoquait autant la sympathie que la monstruosité. C'est dire si l'adaptation par Spike Jonze, dont je n'avais vu le moindre film ni, à ma connaissance, aperçu le moindre scénario ou jeu d'acteur, me gargouillait d'impatience. Ce devait, nécessairement, être un événement. Ce le fut, accessoirement, car Max et les Maximonstres est le plus beau film que j'ai jamais vu.


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"Where the wild things are", nous dit le très beau titre en anglais : là où sont les choses sauvages. Et où sont-elles, je vous prie ? Cela sera bientôt limpide. Max est un petit con d'américain qui empile connerie sur connerie. Dévalant les escaliers, affublé d'un déguisement de je ne sais quoi (de loup ?) blanc et sale, il se jette sur son pauvre chien en un mélange désordonné de poils, de hurlements et de vertiges, jusqu'à rendre sa fougue plus animale encore que celle du toutou. Plus tard, il joue au foot, sans doute avec ses copains de classe, et il y met la même rage. Plus tard encore, il se construit un igloo dans la neige et s'entasse dedans comme en un refuge ou un terrier, et de sa tanière, entend concocter une bataille de boules de neige dont les copains de sa grande soeur figureront l'armée adverse. Joie folle, neige qui fuse, échappées et désastre : les grands vont trop loin dans leur jeu, dans leur force, ils détruisent le paisible igloo. Max, très contrarié, le fait savoir à sa mère, mais cette dernière ne peut pas inviter tranquillement son amant au salon pour boire un verre de vin sans que son gamin se contrarie tout rouge. Cette fois-ci, c'est la grosse prise de bec : dans son costume de guerre (le déguisement blanc à oreilles pointues), Max s'enfuit par les bois, et c'est là qu'un truc étrange se produit. On en reparle plus tard.



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Tout est contenu, pour ainsi dire, dans ce prologue limpide : Max, jeune garçon d'une dizaine d'années, est un concentré de furie animale non encore au fait des convenances adultes qui supposent, entre autres, la maîtrise de soi. L'émotion, chez Max, est tout entière extériorisée : le cadre tremblé, caméra à l'épaule, semble ne jamais pouvoir contenir ce petit bout d'homme tant il vacille, virevolte et dévore les lieux familiers de la maison, du jardin, de la rue attenante. Par un saisissement splendide du frissonnement des objets, de l'incertitude des trajectoires, le cadre fait de Max d'ores et déjà un monstre, inhumain car impossible à contenir dans quoi que ce soit, à l'exception de l'hibernation glaciale de l'igloo – qui s'écroulera bien vite, néanmoins : rien, à plus ou moins long terme, ne peut littéralement supporter le poids de Max. Max est une outre trop pleine menaçant de se déverser sans contrôle, et ces quelques scènes parviennent enfin à saisir, mieux que je ne l'ai jamais vu, ce qu'est réellement l'insouciance de l'enfance : au lieu d'une plénitude rêveuse, comme si souvent représentée, il s'agit en réalité d'un débordement continuel de soi vers le monde. Cette toute première scène, passés les cartons de présentation affublés de grossiers graffitis, où Max dévale ces escaliers en se jetant sur son chien, c'est l'enfance, l'appel du cortex, le monstre intérieur dans toute sa royale certitude de puissance. Et ce volume au grossissement inquiétant finit irrémédiablement par toucher, puis blesser les autres : la grande soeur, qui verra sa chambre trempée et saccagée par le petit démon. La mère, sommée de n'avoir aucune vie affective possible autre que le concernant. C'est bien sûr de la crise du père absent que survient la fugue, brutale.


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On assiste peut-être alors au seul passage raté du film, celui de la transition du monde réel vers le monde imaginaire. Bien souvent, cette scène de transition est casse-gueule dans l'exercice du film de conte ou du merveilleux. On ne les compte plus, ces histoires qui comportent un passage vers le rêve, nouveau fantasme du cinéma d'imaginaire, de Narnia à Harry Potter en passant par Coraline, et j'en passe des dizaines : porte, miroir ou tunnel, ce motif est un héritage direct du conte anglais, parrainé par Lewis Caroll et James Matthew Barrie (si l'on oublie toutes les quantités d'autres, ne retenons que ceux-là), respectivement auteurs de Alice au pays des merveilles et Peter Pan. C'est raté donc, souvent, et Spike Jonze glisse un peu comme de bien entendu : un bateau au bord d'un lac, que Max aborde pour franchir les eaux, entre temps transformées en mer immense qui figure la phase de transition. L'effet était largement évitable, aurait gagné à être plus doux, progressif mais solidement soutenu par un montage sûr de soi : mais malheureusement, nous avons droit à de sempiternels fondus enchaînés, avec symbolique de surimpression de rigueur, lune/mer/nuit. Tant pis, car nous arrivons bientôt sur l'île des Maximonstres.



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C'est l'incendie sur l'île lorsque Max débarque. C'est une lumière de feu en forêt qui appelle aux histoires en cercle, un peu effrayantes parce qu'il y a la profondeur de la forêt, mais que l'on peut affronter bien d'aplomb parce qu'on n'est plus un bébé. C'est plein d'aplomb que Max se présente aux Maximonstres, mais avant cela, il y avait eu une longue scène d'observation furtive, avec des cadres imprécis alternant champ/contrechamp entre Max dissimulé dans une nuit épaisse, et Monstres hachés par des troncs d'arbre, tamisés par la lumière sporadique des flammes, aussi familiers qu'effrayants. Je vous épargne le déroulé narratif de tout ce qu'il se passe dans ce film pour ne gâcher aucun plaisir. Je ne me perdrai pas non plus dans une exégèse flamboyante de la symbolique de Max et les Maximonstres, ce serait sans intérêt et je n'en ai aucune compétence. Il faut simplement savoir que cela parle de la régression de l'enfance, de la part d'animalité, la part sauvage, qui règne en nous ("Where the wild things are ?" : en nous !). Alors que la majorité des "histoires pour la jeunesse" insistent sur la nécessité de policer son comportement, Maurice Sendak a eu l'intuition d'une honnêteté totale envers le plaisir de la rage, de la destruction, et de la part de fiction que l'on bâtit autour pour se glorifier en enfant-roi (ce que sera Max auprès des Maximonstres), de façon narcissique et mégalomane. C'est un travestissement ludique qui s'opère, parfaitement pigé par Jonze qui, dans le prologue, montre une seule chose : les jeux de Max, tour à tour dominés par une des quatre grandes "familles" dessinées par le sociologue français Roger Caillois : l'agôn (l'affrontement), l'alea (le hasard), l'illium (le vertige), la mimicry (imitation). Tout cela se trouve dans les jeux de Max. Et son échappatoire sur l'île des Maximonstres est, elle aussi, un jeu, c'est-à-dire une transfiguration du réel au moyen d'un ensemble de règles. Les règles, c'est que Max décide, et que son fantasme obéit... ou lui échappe.


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L'adaptation visuelle et, tout autant, sonore, de Spike Jonze, est parfaite et implacable, y compris pour la grosse partie du film qui se déroule dans le fantasme des Maximonstres. Au lieu d'opter pour les cadres cintrés, les mouvements amples et le teint lisse et coloré du classicisme hollywoodien, il choisit une caméra-épaule semblable à celle du prologue "réaliste", donc un cadre tremblé, mouvant, presque aléatoire mais bien entendu attentif à saisir les accidents, les gestes, les paroles jetées, avec avidité. Pour autant, il rejette tout style documentaire (on n'est pas chez Greengrass, plutôt vers chez van Trier) en ne repoussant nullement du cadre les éléments fantasmagoriques, à commencer par les Monstres eux-mêmes, qui sont montrés sans ambages ni délicatesse particulière, frontalement : on suit leurs déplacements en travelling arrière oblique, le petit Max mêlé à leur ménagerie sans insistance particulière sur l'incongruité de sa présence, ou de la leur. Mais c'est normal ! Ces Monstres ne sont pas des fantasmagories : ces monstres, c'est lui ! C'est, pour être plus exact, son enfance qu'il s'emploie à dompter. Comment la dompter ? En la jouant, en fabriquant une maquette (comme celle fabriquée par Carol, le plus proche des Monstres), en inventant une île, une histoire, et surtout : des règles. C'est un jeu ne l'oublions pas ! Il y a des règles, et celle fixée par Spike Jonze c'est : pas de faux semblants. La fabuleuse réussite plastique des Monstres vient de là : seul leur visage, pour ce que j'ai pu en déceler, est en numérique. Pour le reste, ils sont tactiles, palpables, c'est du vrai poil, c'est de la vraie plume, ils ont une densité, une masse, corroborée à chaque instant par leurs bonds prodigieux et leur propension à casser tout ce qu'ils voient (l'un d'eux par exemple, a pour "spécialité" de faire de magnifiques trous dans les arbres). Voilà quel fut le génie de Spike Jonze sur ce film : rien n'est incongru, tout est réel et préhensile jusque dans l'affirmation du fantasme.


Max et les Maximonstres est le plus beau film que j'ai vu.

PS : la fin du film diffère de celle de l'album. Chez Maurice Sendak, lorsque Max revient chez lui, "d'entre les monstres" pour ainsi dire, sa soupe est toujours chaude, ce qui signifie qu'il n'a en fait pas bougé de chez lui et a imaginé toute cette histoire, du moins c'est ce que cherche à nous faire affirmer l'auteur. Chez Spike Jonze, la maman enlace profondément son fils revenu de fugue, et aucun indice ne laisse paraître qu'il est parti un jour, une semaine ou un an. Ainsi rien n'est délibéré quant à la "légèreté" des péripéties auxquelles nous avons assisté sous la forme d'un rêve. Il est bien entendu – cela paraît assez clair – que tout le passage sur l'île des Maximonstres était un fantasme. Pour autant, ce qui s'est "réellement" déroulé était-il un simple jeu sans gravité ? Un jeu, sans doute, mais lourd de sens, je crois.
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