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Technique ♦♦♦♦
Esthétique ♦♦♦♦
Emotion ♦♦♦♦
Intellect ♦♦♦♦
Vous connaissez sans doute ce phénomène : lorsque votre âme-soeur voue aux nues tout ce que la littérature pour gonzesses a pu produire à la fin du XIXe siècle, toute nouvelle adaptation filmique de Jane Austen ou des soeurs Bronte orientera la direction de vos pas vers le cinéma arzessai le plus proche. C'est ce que nous vécûmes en cette lourde soirée de dimanche d'été, chargée des effluves mystiques et urinaires de la Canebière.
J'irai droit au but pour ne pas faire trop long : cette version du Jane Eyre de Charlotte Bronte est plus belle que celle avec Charlotte Gainsbourg. Cary Fukunaga, cinéaste à patronyme japonisant que je ne connaissais pas, a la merveilleuse idée de rendre à l'oeuvre ses lettres gothiques. C'est l'intérêt principal du film. L'atmosphère devient brumeuse lors des nombreuses scènes de nuit, de superbes plans d'ensemble déclament la beauté sauvage des landes anglaises, des bâtiments de pierre austères se découpent au premier plan de ciels argentés ; et le must : les fréquents passages d'intérieur éclairés "au naturel" par des bougies, des luminosités palpitantes issues des aurores et crépuscules, ou encore du nacre de la lune, esthétiquement c'est soufflant, ambitieux comme un Barry Lyndon, clair-obscur comme du De la Tour.
Je ne vous fais pas le coup du résumé, vous le connaissez par coeur, et même si vous n'avez pas lu le bouquin vous savez tout sur cet éveil de l'émancipation féminine victorienne, vous savez tout des gouvernantes à l'enfance difficile qui veulent se taper le patron, et tout le monde s'en fout. C'est l'esthétique qui importe, et le film nous comble. Tant mieux, parce que honnêtement, Fukunaga n'a pas grand chose d'autre à proposer. L'image est belle, la sonorisation, il faut le souligner, est sublime aussi (les musiques un peu moins), mais la mise en scène par contre est souvent quelconque, notamment lors des scènes de dialogues. On décèle de-ci de-là quelques gourmandises agréables, surtout les plans d'ensemble en extérieur ou encore le joli plan foetal dans les broussailles vers la fin. Il y a même des idées de réalisation qui parviennent à donner un caractère fantastique, donc du genre et du style, à cette intrigue sentimentale : animaux surgis des bois, cheminée qui râle un nuage de cendres en plongée, bruits étranges raisonnés derrière un mur de la vieille baraque. Mais le reste du temps le montage est subordonné à la structure sonore ou à la beauté plastique ; il est sage, bien sûr obsessionnel envers l'actrice principale dont le visage est cerné par le cadre la moitié du temps.
Parlons d'ailleurs de Mia Wasikowska (l'Alice de Tim Burton) : elle s'en sort bien, j'ai rien de particulier à lui reprocher, m'enfin elle n'a pas le quart de l'expressivité de Charlotte Gainsbourg. Par ailleurs, tous les acteurs sont bien, Fassbender inclus, tout ce beau monde est impeccablement costumé dans une reconstitution limpide. L'implication émotionnelle a toutefois du mal à s'inviter dans cette rigueur d'ensemble. Il n'en reste pas moins que Jane Eyre est un des plus beaux films historiques que j'ai vu depuis longtemps.