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  • : Le Massacre
  • : " On a qu'à appeler ça Le Massacre alors. " Mickaël Zielinski, Nicolas Lozzi, mai 2009.
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16 juin 2009 2 16 /06 /juin /2009 12:09

 

Technique ♦♦♦♦

Esthétique

Emotion ♦♦

Intellect  ♦♦  

Alors que nous projetions, ma douce et moi, d'aller voir le film potache et sans doute croustillant de Riad Satouff (un chouette bédéaste qui m'a bien fait rigoler dans le passé), la triste réalité nous matraqua d'emblée : le Pathé de Madeleine, notre cinéma le plus proche, semble être définitivement pris d'assaut par des hordes de petits cons en présence desquels il paraît illusoire de pouvoir s'immerger dans une fiction, et c'est non sans courroux que nous quittâmes donc la petite salle surchargée d'hormones en croissance pour nous rendre dans celle d'en face, qui diffusait dans une ambiance bien plus calme (il a quand même fallu, encore, demander poliment à quelques jeunes abrutis d'avoir la descence de fermer leurs gueules), le film de Lars van Trier qui fit scandâââle à Cannes, Antichrist. Bien nous en prit.

 

Un couple de trente-ou-quarantenaires, Charlotte Gainsbourg et William Dafoe (qui avait déjà joué avec van Trier dans Dogville ; deux comédiens exemplaires totalement investis dans leurs rôles, on serait presque tenté de dire : courageux) baisent avec passion dans leur salle-de-bain, sans se douter que dans une pièce attenante, leur rejeton de un an et demi ou deux ans vient de s'échapper de son petit parc et de grimper jusqu'au rebord de la fenêtre. Il chute, c'est le drame. Le décès du gamin affecte terriblement les parents, comme on s'en doutait, et la mère, notamment, est dans un état de culpabilité tenace qui pousse le mari, psychologue, à entamer une thérapie particulièrement coriace avec elle, et ce malgré la dangerosité de la chose (on cherche toujours à éviter que le patient ait des liens intimes avec son psy, généralement). C'est le début d'un long chemin de croix pour Charlotte Gainsbourg, qui doit exorciser (et le terme n'est pas choisi au hasard) son mal-être tout en étant soumise à l'influence thérapeutique de l'homme qu'elle aime.

La première scène oscille entre le sublime et le pathétique : les prises de vue sont éclairées dans des tons métalliques blanc-gris aux contrastes atténués, les mouvement exagérément ralentis, et l'ambiance rendue tient de l'instant volé, fugitif, où néanmoins tout bascule sur le mode "et là, c'est le drame". A la beauté formelle s'oppose la vague résurgence d'une publicité pour de l'eau minérale, l'hésitation règne chez le spectateur au sujet de ce tragique événement, montré comme à l'intérieur d'une boule à neige lentement remuée. On comprendra plus tard que cette première scène si épurée et édulcorée offre un saisissant contraste avec les techniques filmiques proposées par la suite.

En effet, l'essentiel du film traîtera de la thérapie suivie par Charlotte et menée de main de maître, semble-t-il, par William Dafoe. Dans un premier temps, les grandes bases sont échaffaudées autour de dialogues : van Trier détourne admirablement le langage cinématographique de base, corrompant certains champs/contrechamps très classique (on filme le personnage qui parle, puis celui qui répond), par des retournements d'axes (on filme du côté opposé par exemple) qui provoquent des changements de couleurs, d'éclairage ou de luminosité. Dans le même temps, on reconnaît la patte du Dogme, ce mouvement danois dont van Trier fut le principal instigateur, avec ses prérogatives : caméra épaule, grain de caméra DV, décors naturels, pas de studio. L'intérêt est de filmer une fiction avec une brutalité dans la prise de vue qui tient du naturalisme. Van Trier, lui, va souvent plus loin encore dans l'idée en adjoignant à ses films des séquences qui tiennent de l'antithèse du Dogme : c'était déjà le cas dans les scènes oniriques de Dancer in the Dark, c'est encore le cas ici dans la scène d'ouverture et celle de fermeture, et cela fonctionne sur un mode très binaire, croit-on : tout ce qui est filmé "en lisse" tient de l'imaginaire, tout ce qui est filmé "en Dogme" tient du réel. Tout l'intérêt est de brouiller les pistes : dans Antichrist, ce sont les symboles qui ont cette fonction.

 

 

Comme quoi, baiser dans la nature c'est pas forcément si excitant que ça.



Car en effet, au bout d'un moment, Charlotte et Dafoe partent faire une randonnée dans la nature, à un endroit où ladite Gainsbourg a passé ses vacances seule avec le fiston l'année précédente, dans le but d'écrire sa thèse, qu'elle n'a jamais finie. Les lieux (une forêt profonde percée d'un ruisseau, un petit pont de bois, un vieux refuge) ont probablement été le théâtre d'un événement traumatique qui accentue sa culpabilité et l'empêche d'accoucher pleinement de sa douleur, de la perte de son enfant. Les irrégularités de la nature environnantes (le vent qui souffle, les glands qui tombent des chênes, les pierres qui roulent), par définition impossibles à anticiper pour le cinéaste, sont captés avec une incroyable maestria. Lorsque Dafoe apparaît au milieu des fougères au fond du plan, qu'il aperçoit un bosquet qui tremble, se dirige lentement vers lui, le cadre se resserrant, et que finalement une bourrasque balaye tout le sous-bois en même temps que nos craintes, c'est à couper le souffle. La caméra DV, forcée de s'adapter au climat, souvent maussade, parfois ensoleillé, offre un pannel d'éclairages absolument saisissants et toujours en adéquation avec l'évolution de la thérapie. Les affrontements verbaux enfin, de plus en plus violents, provoquent toujours plus d'aspérités, d'accidents "gérés", de pics émotionnels, sur le cadre et sur le montage.

En substance, la forme de Antichrist pourrait laisser penser qu'il s'agit d'un film purement naturaliste. Or, non : on distingue dans la surenchère de symboles pas toujours heureux (parfois tellement gros, comme le renard parlant, que ça ne peut être, franchement, que de l'humour volontaire) les caractéristiques du réalisme magique, ou tout du moins du conte : ces symboles en effet, souvent tribaux ou animaux, sont une matérialisation onirique de la thérapie (et on est clairement dans la symbolique chère à C. G. Jung, d'ailleurs Charlotte le dit elle-même : "Freud est mort, n'est-ce pas ?"), mais du coup, ils contaminent tout de même l'image, comme dans cette hallucinante prise de vue au ras du sol qui voit entrer dans la maison un renard, un corbeau et une biches. Prenez un vieux conte anglais comme, disons, Le Livre de la jungle de Kipling, retirez-lui tout son matériau narratif, n'en retenez que la moelle psychanalytique, vous obtenez à peu près quelque chose comme Antichrist. Ca n'empêche pas les allégories un peu lourdingues, comme ce travelling latéral très rapide sur les branchages au milieu desquels on distingue des visages grimaçants ; mais tout cela est parfaitement assumé, tout comme la provoc volontaire de la cascade de violence qui électrise la fin du métrage.

 

 

Si si : objectivement, ça peut arriver qu'une biche, un renard et un oiseau se trouvent dans une maison en bois en même temps qu'une folle excisée.



Une violence pareille, montrée aussi crûment, est bien plus marquante qu'une violence de film de genre en ce que, justement, la matière filmique est présentée comme naturaliste depuis le début, scène d'exposition exceptée. Même un film comme Irréversible, qui contenait pourtant deux scènes particulièrement éprouvantes, n'atteint pas de telles extrémités : c'est que dans l'oeuvre de Caspar Noé, la scène de viol par exemple était présentée en plan-séquence d'un quart d'heure, caméra posée à même le sol, donc dans une certaine neutralité, un rythme de croisière, tandis qu'ici, le cadre choisit de mettre dans le champ ou non les geste d'horreur perpétrés à maintes occasions dans la dernière demi-heure. Que ce soit par le cadre, par l'environnement naturel ou par le scénario, les corps des personnages, des acteurs, sont offensés, pétris, malmenés, on sent la chair comme dans un film de Cronenberg, le vernis en moins. C'est sur cette base, d'ailleurs, que van Trier s'est fait descendre par le public cannois et la critique en général. Qu'elle lui reproche d'aller au bout de ses convictions formelles, cela paraît surprenant pour un cinéaste qui a déjà fait preuve d'autant de violence physique et psychologique dans ses précents essais : voir Dancer in the dark ou Dogville par exemple, pour des polémiques similaires et tout aussi stériles. Même chose pour la prétendue misogynie du scénario, devenue misogynie du cinéaste lui-même par un effet de putasserie pseudo-morale comme seuls des critiques à la con peuvent en fomenter (non, je ne citerai pas Télérama...). Dans Antichrist, prétendument, c'est la femme qui est présentée comme coupable : et après ? C'est inenvisageable ? Choquant moralement ? Mais pour quel motif ? Pour quelles raisons la femme ne pourrait-elle être coupable, ou du moins le ressentir, et Dafoe lui-même, n'est-ce pas lui qui cherche à tout prix à lui faire rationnaliser sa douleur, lui qui joue à l'apprenti sorcier et voit sa "créature" se retourner contre lui ? On a une scène d'excision, et alors,? Le passage n'est pas le plus réussi du film, la provocation est plus probablement un clin d'oeil au Chien andalou de Bunuel, l'excuse surréaliste en moins, c'est la matérialisation de la thérapie, qui court sur la pellicule depuis un bon moment déjà, et qui constitue donc un apex tout-à-fait logique. Beaucoup plus attaquables à mon avis sont les métaphores bibliques vides de sens et autres partis-pris en forme d'exercices de style trop voyants, genre les visages de femmes floutés à la toute fin. Van Trier lui-même a avoué avoir choisi ce titre au hasard, parce qu'il trouvait que "ça le faisait" : pure provoc ; et ça, il peut s'en passer : il me fait penser par moments dans ce film à Barcelone qui mènerait 4-0 par chaos en finale de coupe d'Europe et s'amuserait à étaler son génie et ridiculiser l'adversaire en faisant de la passe à 10 en talonnades : un peu de suffisance.

 

Mais enfin, bordel, pour une fois qu'un cinéaste triture la forme, ne ménage pas son spectateur, encourage à une redéfinition des notions personnelles que l'on a du cinéma, pourquoi faut-il réalimenter des polémique qui ne devraient plus avoir cours depuis les années 1960 ? Incontestablement, le film est brillant. Il ne se permet aucun calibrage, aucune connivence. Il nous fait parler, penser, nous procure des émotions physiques, destructure un langage qui ronflait, dormant sur nos acquis cinématographiques, et c'est tant mieux.

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commentaires

N
Oui, le gosse est peut-être tombé volontairement. A partir du moment où ce "réalisme magique" dont je parlais est présent, on peut interpréter à satiété. J'ai lu quelque part que Gainsbourg et Dafoe passent en fait tout le film dans la forêt à prendre le soleil et que ce qu'on voit à l'écran n'est que la somme de leurs fantasmes et divagations pendant la thérapie. C'est une jolie manière de voir ça, un peu lynchienne.<br /> <br /> Sinon, j'espère bien que tu reviendras souvent dans le coin, les amateurs de forme sont notamment appréciés. Et puis les pseudo-amateurs de sciences sociales, bah tu les emmerde, c'est quand même bien plus important de Massacrer. Continue à divaguer, ou pas.
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C
Un blog? Quel égocentrisme, on croit rêver.<br /> <br /> Pour éviter de flooder, j'ai bien aimé me dire que cet enfant s'est jeté par la fenêtre.<br /> Si les enfants défenestrés sont légitimement plus nombreux en été, quid de ceux qui chutent en hiver?<br /> <br /> Le film est bel et bien misogyne et effectivement la question n'est pas de se demander si c'est un bien ou si c'est un mal, c'est un fait.<br /> <br /> Nico tu te souviens peut-être que j'aime le cinéma principalement pour sa forme, tu t'imagines donc aisément que je suis tombé cent fois à la renverse durant la séance, j'ai même miraculeusement échappé à la syncope pendant les dix premières minutes, bref j'en ai pris plein la gueule. Marvelous.<br /> <br /> Je divaguerai bien encore un peu mais les amateurs de Sciences Sociales se pressent dans mon dos. Je reviendrai de nuit.
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