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  • : Le Massacre
  • : " On a qu'à appeler ça Le Massacre alors. " Mickaël Zielinski, Nicolas Lozzi, mai 2009.
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23 juillet 2009 4 23 /07 /juillet /2009 08:34

Technique ♦♦

Esthétique

Emotion ♦♦

Intellect  ♦♦

 

Chers amis, la rareté des chroniques littéraires sur Le Massacre, largement déficitaires face à la pellicule, ne doit pas vous faire penser que je ne lis plus : simplement, je bosse, et je lis professionnellement bien plus que pour le plaisir. Quelquefois néanmoins, je parviens à me dégager une petite gourmandise par-ci par-là. Aujourd'hui, dans la série Nico-est-un-gros-inculte-qui-ne-connaît-pas-les-classiques, l'épisode-choc : Nico lit du Oscar Wilde !
Voilà probablement le seul auteur dont j'ai vu la tombe (au Père Lachaise) avant de lire un traître roman. Le Portrait de Dorian Gray fut le seul roman de Wilde, que je connaissais surtout pour ses épigrammes, ses déclarations narcisso-géniales, les procès qu'il dut subir pour atteintes aux bonnes moeurs, tant dans sa littérature et ses critiques que dans sa vie privée (c'est qu'être homosexuel dans l'Angleterre victorienne fut parfois mal vu). Ce qui m'a surtout attiré dans ce bouquin, c'est qu'il est – remarquablement – annoté, préfacé et nouvellement traduit par Jean Gattégno, qui ne fut autre que le fondateur de l'IUT Métiers du Livre d'Aix-en-Provence dont je fus un étudiant assidu (que dis-je, acharné).
Soit à ma gauche Basil Hallward, un peintre médiocre mais qui touche au génie depuis qu'il peint des portrait de (en face) Dorian Gray, jeune éphèbe à la beauté saisissante et à la naïveté primesautière, qui s'apprête à être corrompu par (à ma droite) lord Henry, trentenaire nihiliste de la bonne société, aussi cynique que gentleman et cultivé. Le basculement intervient dès le début, lorsque Gray souhaite de toute son âme que le sublime portrait de lui que Basil vient d'achever vieillisse à sa place. C'est, bien entendu, ce qui se passe, et ça ne manque pas de troubler le jeune homme, qui dissimule ce secret. S'éloignant de Basil, il est pris sous la coupe de lord Henry qui entend lui faire connaître le monde avec son esprit acéré. Mais voilà qu'un beau jour, Dorian tombe amoureux d'une actrice, Sybil Vane, qui le subjugue de son talent, et promet de l'épouser aussitôt. Mais, dès lors qu'elle est au courant de ses intentions, elle offre une représentation rendue catastrophique par ses sentiments amoureux, et le charme est rompu. Dorian se désintéresse d'elle, et elle se suicide ! Ce n'est que le début d'une longue descente aux enfers, lors de laquelle le portrait ne vas plus s'arrêter de vieillir et de revêtir les atours de la perversité.
C'est peu dire que je m'attendais exactement à ce roman avant même de l'avoir commencé. D'abord, l'argument fantastique reste extrêmement secondaire : il est évident qu'il s'agit là d'un "effet diégétique" symbolique qui ne cherche à véhiculer nul ressort de la peur ou de l'angoisse. Nous sommes dans une triple tradition pourrait-on dire : d'abord une tradition du roman gothique dont Mary Shelley serait la marraine : il y a du Frankenstein dans la constitution par lord Henry d'une "mosaïque" culturelle qui enmaillotte Dorian comme une créature (même si le "pacte" qui lie Gray à son portrait est davantage faustien, ou méphistophélique) ; ensuite une tradition du romantisme fantastique, notamment français, et il est vrai qu'on pense beaucoup à Théophile Gautier, même si pour ma part j'ai trouvé bien plus de qualités poétiques chez le français que chez Wilde ; enfin une tradition du roman victorien, type Thackeray, plus abrupt et attaché à dépeindre les travers du monde moderne qu'à se focaliser sur la psyché des personnages et leurs transformations. Dans ce dernier cas, le rattachement est néanmoins potentiel, en formation, le lent désintéressement pour Hallward et son romantisme un peu nunuche au profit du nihilisme de lord Henry traduisant à mon sens un abandon du romantisme désuet pour une forme plus moderne de "symbolisme pragmatique" qui trouve son écho chez les poètes français du début du XXe.
Malheureusement, on aurait pu attendre, pour soutenir cette métamorphose, un travail sur le style qui aurait entériné la manoeuvre, mais l'écriture ne m'a pour autant pas convaincu dans Le Portrait de Dorian Gray, qui ne veut pas un quart de Rimbaud. Si Wilde est incontestablement un monstre littéraire, il l'est plus pour la percussion des environnements traîtés et son sens de la formule que pour sa création poétique. Il n'y a vraiment, dans ce roman, aucune échappatoire à la rondeur du style, et pour peu que, comme moi, on se tamponne allègrement de la décadence des bourgeois victoriens et des "intrigues de cour" qui s'agitent en sous-main, on s'emmerde ferme, notamment lors des passages dialogués. Du reste, pour scandaleux qu'il ait pu paraître à l'époque (car il est incontestable, par exemple, que Hallward est éperdument amoureux de Gray, bien que Wilde ait édulcoré la relation dans la seconde version corrigée ici présentée), le roman est atrocement mal construit, un certain nombre de courts chapitres ayant été ajoutés au forceps pour relâcher la tension et proposer une intrigue secondaire (la poursuite de Gray par le frère de Sybil Vane) qui s'achève en eau de boudin. Cela donne une curieuse impression : certaines ellipses sont immenses, alors qu'à d'autres moments, les chapitres se succèdent sans presque de coupure temporelle. Le chapitre 11, central dans le propos de Wilde, est à ce titre édifiant en ce qu'il est constitué d'un pénible catalogue de références (et des citations, il en pleut du début à la fin !) censées figurer la transformation de Gray.
Pour autant, tout ce qu'il y a de majestueux dans ce roman est inscrit en filigrane et prend la forme d'un réseau de lignes sémiotiques dont on peut se contenter pour apprécier l'entreprise : que l'âme de Dorien Gray soit prisonnière d'un tableau, c'est un signe que, selon Wilde, l'art inspire la nature, et non l'inverse. Difficile évidemment, bien que ce soit un détestable procédé, de ne pas établir de parallèle entre la vie de l'auteur et l'intrigue du roman : un an après la publication de ce dernier, Wilde allait rencontrer l'amant qui précipiterait les dernières années de sa vie dans un enfer total, de procès en procès, événements semble-t-il annoncés dans Le Portrait de Dorian Gray ce qui, dans son malheur, a du combler Wilde. La beauté du roman tient pour ses figures, plus que pour son texte, serais-je tenté de dire, et il reste un acte transitoire, un témoin du glissement, mais aussi une association de modèles (le pacte faustien comme acte artistique, la flétrissure de l'âme indépendante de celle du corps qui rappelle le contemporain Dracula de Bram Stoker) qui en font évidemment un classique de la littérature fantastique, bien qu'il n'en soit pas un des représentants emblématiques en termes esthétiques.


Un jour ou l'autre, vous verrez, je lirai du Flaubert. 

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commentaires

M
Ah Dorian. Dear Dorian... Et dire que grâce a lui j'ai eu 16 au bac. Je le remercie pour ces heures de lecture (en VF et VO s'il vous plait) tout à fait soulantes et rébarbatives! Cependant je dois avouer qu'après la torture de cette lecture dans la langue de Shakespeare, la version francaise m'est apparu comme un soulagement, et je l'ai même parfois trouvé intrigante et surprenante. Pas une de mes meilleures lectures scolaire, mais le côté fantastique m'a bien botté.
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N
j'avais du lire ce roman en mise à niveau pour un cours de français et je crois bien n'avoir prit aucun plaisir à le lire...à part l'intrigue du tableau, qui viellit à la place de Dorian Gray, qui est intéréssante.<br /> (mais pas plus révolutionnaire que d'autres histoires fantastiques)
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