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  • : Le Massacre
  • : " On a qu'à appeler ça Le Massacre alors. " Mickaël Zielinski, Nicolas Lozzi, mai 2009.
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16 septembre 2011 5 16 /09 /septembre /2011 23:05

 

 

 

 

La rentrée littéraire me laisse foncièrement indifférent. Elle est pour moi synonyme de romans français au kilomètre qui s'entassent dans les réserves et engorgent le trafic courant. Du roman français, pouah ! Heureusement, quelques fictions étrangères égayent quelque peu le paysage. Le nouveau Murakami, le nouveau Dan Simmons, quelques perles à découvrir qui sait ? Et puis, il y a les BD. On ne peut pas réellement parler de "rentrée littéraire" pour le matériau séquentiel, tout juste de retour aux affaires après le marasme du mois de juillet et l'exclusive fournée manga de la mi-août. Les BD lourdes vont arriver un peu plus tard, à partir de fin octobre, pour garnir les premiers paniers d'achat de Noël. Cette année 2011 néanmoins, peut-être pour fêter les joyeuses explosions anti-capitalistes qui enjolivèrent notre été il y a dix ans, révèle une oeuvre qui scintille et relève le niveau moyen de l'année écoulée, une BD qui ose, qui tranche et qui Massacre.

 

3 secondes de March-Antoine Mathieu (Delcourt)() est fort justement présentée par son auteur comme un "zoom ludique". On ne saurait dire mieux. À partir d'une focalisation qui nous met à la place d'un faisceau de lumière, nous allons zoomer très progressivement, chaque case révélant un cadre plus serré que le précédent, sur une première scène vue d'un certain angle en strict travelling avant, puis rebondir sur une surface réfléchissante pour révéler un nouveau point de vue et un nouvel angle, progressant toujours par à-coups zoomés successifs, et ainsi de suite. Le rebondissement perpétuel va nous entraîner très loin, au gré des reflets de miroirs, de lunettes, de n'importe quel support réfléchissant, jusque dans des immeubles voisins, un avion et même un stade de foot. Car, malgré l'absence de phylactères, il y a une intrigue dans 3 secondes. Mais c'est au lecteur d'interpréter les diverses scènes pour en dégager les enjeux. L'ambiance est celle du thriller, on comprend bien vite que les personnages dévoilés (un joueur de foot, un tueur à gage embusqué, un garde du corps...) composent chacun une facette d'une affaire de corruption orchestrée par la FIFA. Vous ne rêvez pas, c'est la cerise sur le gâteau : ça parle de foot ! Si ce n'est par les situations, les objets ou les actions des personnages, on peut en apprendre beaucoup grâce aux articles de journeaux qui vont ponctuellement entrer dans le champ, même s'il sera souvent nécessaire de les lire à l'envers, ou à l'envers-àl'envers (effets de miroir successifs oblige). Le temps diégétique de l'action est effectivement de 3 secondes, mais il faudra au lecteur bien plus longtemps pour compulser l'ouvrage, et c'est là peut-être sa plus singulière qualité : Mathieu oblige le lecteur à une lecture lente, très très lente, car il faut scruter attentivement chaque case, recouper toutes les informations que le champ peut livrer avec la somme d'indices déjà glanés auparavant. C'est ainsi qu'il faudrait lire toutes les BD mon bon monsieur, eh bien là, ce n'est pas une option, on doit le faire si l'on veut s'immerger et comprendre. La participation active du lecteur pour combler les ellipses de toutes sortes justifie le caractère "ludique" de l'objet. De toute évidence, le travail purement technique de Mathieu, considérable pour déformer les objets selon le type de reflet auquel on a à faire, révèle un souci du détail obsessionnel, au détriment sans doute de sa dimension esthétique. Fatalement, le noir et blanc distordu au rendu très classique ne dégage pas nécessairement du "beau". Mais un plaisir intellectuel, par contre, qui pousse à s'investir démesurément, à échaffauder des hypothèses, à participer à la construction du sens par l'intermédiaire des signes. C'est tout à fait époustouflant et franchement expérimental.

 

Le reste de la sélection semblera évidemment palote en comparaison, mais quelques volumes ont fort bien réussi leur coup. En mer (Drew Weing, Ca et là)() est un petit bijou enfermé dans un joli format (plus petit que manga) et fort bien fabriqué, qui raconte en une case par planche le trajet d'un poète énorme et bourru engagé contre son gré sur un bateau et finira marin. Le dessin stylisé mais précis évoque en gros les Katzenjammer Kids, l'histoire en boucle est belle, c'est un petit plaisir pur et facile. Voyage en Satanie (Dargaud)(), scénarisé par l'excellent Vehlmann et dessiné par Kerascoët, nous offre une gentille utilisation du merveilleux scientifique à la Jules Verne. Une expédition spéléologique se transforme en exploration fabuleuse dès lors que les personnages croisent une civilisation cachée sous les profondeurs de la croûte terrestre, et même une race de néanderthaliens dont l'évolution parallèle était restée masquée au reste de l'humanité. Tout cela est malin, parfois fort beau et très prenant, une fiction d'aventure bien balancée qui s'achèvera ultérieurement par un second tome. Un petit comic book des familles ? Allez donc : Bienvenue à Hoxford (Ben Templesmith, Delcourt)() dépeint une sombre et violente histoire carcérale dévorée par des loups-garous. Ca envoie du pâté, il y a du beau dessin au crayon informatiquement colorisé dans des teintes metalliques diverses, autant dire que ce n'est pas moche et que ça donne une certaine puissance au déploiement d'horreurs qui s'abattent sur nous. Primal et régressif. J'ajoute au paragraphe des bonnes choses Toriko (T1, Mitsutoshi Shimabukuro, Kazé)(), un manga fort mal dessiné mais assez drôle : le personnage-titre est un "gourmet-hunter", un chasseur spécialiste des animaux comestibles, le tout dans un monde de fantasy aux créatures plus improbables et rigolotes les unes que les autres : gorilles à quatre bras, grenouilles-serpents, fruits à chair de crabe, etc. Doté d'un appétit démentiel mais d'une certaine finesse de palais, Toriko rêve de composer le menu parfait qui rassemblera les meilleurs ingrédients au monde. Tout est délibérément exagéré, irréfléchi et très stupide, ce qui a suffi à mon bonheur.

 

Sinon, La Forêt (T1, Casterman)() de Vincent Pérez (oui oui, l'acteur !) et Tiburce Oger au dessin, bon, esthétiquement, je dis pas, chaque case prise à part ferait une chouette illustration dans un recueil à 30 euros, mais mis bout à bout, ça manque de découpage (car Vincent Pérez n'est pas un vrai scénariste) et de cohérence pour faire une bonne histoire. Assez chiant et plein de poncifs également. Et Claymore (T1, Norihiro Yagi, Glénat)() est un pâle succédané à Berserk, dénué de la classe, du dessin hallucinant et de la profondeur d'histoire de Kentaru Miura, encore que j'en lusse que le premier tome, pas non plus catastrophique.

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