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  • : Le Massacre
  • : " On a qu'à appeler ça Le Massacre alors. " Mickaël Zielinski, Nicolas Lozzi, mai 2009.
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1 mars 2012 4 01 /03 /mars /2012 21:36

Eh bien, quinze jours sans articles (pour cause de vacances, n'en veuillez pas trop au pauvre travailleurs harassé), il faut que je me reprenne. Voilà qui tombe à pic : je viens de dévorer deux oeuvres magnifiques que j'ai déjà lues bien des fois. Tous les un ou deux ans, replonger le nez dedans est une sorte de respiration salutaire, mais aussi une révision possible des affres de l'habitude. La question peut parfois me tarauder face aux chefs d'oeuvre : est-ce si exceptionnel ?

 

Avec la tolérance qui vous est si habituelle, vous comprendrez que je ne fasse que deux petites fifiches.

 

Akira (Katsuhiro Otomo, 1982-1989)

http://www.manga-occasion.com/images/annonces/grandes/8330-1.jpg

 

Technique 

Esthétique 

Emotion ♦♦

Intellect  ♦♦

 

Cette belle histoire de science-fiction en 6 tomes doit absolument se lire comme un seul. Dans un futur assez proche à Tokyo, des ados delinquants et motards croisent la route d'un enfant à visage de vieillard et aux étranges pouvoirs. L'un des loubards, Tetsuo, développe à son tour des capacités inhabituelles (télékinésie, contrôle de la matière, télépathie...) tandis que son meilleur ami Kaneda s'allie avec une rebelle anti-militaire, Kei. Tetsuo se rend compte qu'un groupe d'enfants aux pouvoirs semblables aux siens vivent dans un laboratoire et sont surveillés par des scientifiques, mais aussi que le plus puissant qui ait jamais vécu, Akira, est enfermé et représente un trop grand danger pour être libéré. C'est néanmoins ce qu'l va faire, déclenchant ainsi la destruction de Tokyo et une guerre civile.

On suit principalement trois personnages : Kaneda, Tetsuo et Kei. Mais d'autres auront droit à des focalisations sporadiques imbriquées avec une très grande fluidité. Fluidité est le maître mot dans Akira. Le déroulé des événements, malgré les ellipses et les zones d'ombre, glisse avec douceur, alors que les péripéties sont au contraire perpétuellement violentes et heurtées. Je parle ici spécifiquement de la structure d'ensemble, qui est parfaite. Là où ça peut coincer parfois, c'est dans la lisibilité des scènes d'action. Un défaut récurrent dans le manga moderne, si l'on compare notamment à Tezuka. Le dessin est parfois trop embrouillé et les cases ne livrent pas suffisamment de clés logiques pour faciliter la compréhension totale de l'action. Fluide, mais pas limpide donc. Plutôt huileux.

Pour autant, l'empathie est énorme et l'oeuvre captivante. Esthétiquement, c'est variable : on va du sublime au mal proportionné, on voit que certains passages ont bénéficié d'un soin plus attentif. Les thématiques SF (notamment japonaises bien sûr) sont parfaitement intégrées : le contrôle de l'atome, le pouvoir incontrôlable de la jeunesse, la rébellion adolescente, un univers urbain post-apocalyptique déchiré, tout cela est mêlée de très belle manière. Une fois que tout cela est dit, je vous fait part de mon soupçon : je pense que Akira est érigé en France en chef d'oeuvre parce qu'il est un des premiers mangas à avoir été traduit et que les amateurs de BD sont restés sur le cul en découvrant ça : ce dessin, cet expressionisme, ce système narratif, ce découpage saignant aux violences frontales. Je serais curieux de savoir comment il est perçu au Japon, mais je suis presque persuadé que Akira est considéré comme un "classique tranquille" du manga SF, pas pour autant comme un chef d'oeuvre. Une oeuvre synthèse, une sorte de parangon peut-être, mais pas un chef d'oeuvre.

 

 

Jimmy Corrigan : the smartest kid on earth (Chris Ware, 2000)

 

http://www.bedetheque.com/Couvertures/JimmyCorrigan_18122002.jpg

Technique 

Esthétique ♦♦

Emotion ♦♦

Intellect  ♦♦

 

Les années 2000 en BD ont commencé avec ce pur plaisir séquentiel du génie Chris Ware, et Jimmy Corrigan n'est toujours pas redescendu de son inaccessible sommet depuis. Ah, la lecture est difficile, moi par exemple il a fallu que je le commence deux ou trois fois avant de plonger enfin passionément dans l'oeuvre. Jimmy Corrigan se mérite un peu, souffre peut-être d'une seule chose : son élitisme. Mais Ware sait à qui il s'adresse : un public d'initiés. Pourtant le principe-même de son art est de simplifier à l'extrême. En voilà un paradoxe !

 

On suit l'histoire de Jimmy, Américain minable de Chicago, employé de bureau solitaire et sociopathe, ultra-dépendant d'une mère envahissante, mal habillé, moche et incapable d'aligner deux mots sans bégayer. Une vraie crème de héros, quoi. Il n'a jamais connu son père, et voilà que ce dernier le contacte et arrange une entrevue dans sa petite banlieue bouseuse. Et puis, d'un coup, voilà que le coeur de l'ouvrage nous plonge à Chicago à la fin du XIXe siècle. Un gosse nommé James subit le quotidien auprès d'un père ombrageux et fantasme sur l'incroyable Exposition Universelle qui se met en place. On revient parfois fin XXe. Puis on retourne au XIXe. Et on comprend que James est le grand-père paternel de Jimmy. Que tout est lié. Rien de bien excitant dites-vous ? C'est parce que vous n'avez pas encore lu.

 

http://multimedia.fnac.com/multimedia/images_produits/zoom_planche_bd/7/5/0/9782840558057_4.jpg

 

L'idée de Chris Ware, c'est que chaque élément de chaque case, chaque interaction des cases entre elles, chaque ensemble de cases dans la page et même chaque planche en résonnance avec les autres, fait sens. Tout fait sens. Et émotion. Tout provoque une émotion. Tout le langage BD est ramené à un pur processus cognitif, et malgré la sécheresse de l'intitulé, le vrai suinte de tous les choix de mise en scène, émotions et sensations sont révélés par le modus operandi mécanique et complexe. Alors c'est sûr, esthétiquement, on est dans une sorte de ligne claire volontairement grossière au trait "américain", mais ce choix induit une clarté qui était nécessaire à la réussite du système.

 

C'est donc une BD hautement intellectuelle et conceptuelle, mais qui ne se refuse aucune beauté, qui donne malgré tout une impression de spontanéité, et mieux, utilise à fond le langage séquentiel sans pour autant le révolutionner. Autant dire, en ce qui me concerne, une oeuvre parfaite. Elle aurait été encore plus que ça avec un trait plus élégant, des couleurs plus nuancées et des textures. Mais cela n'aurait-il pas détruit l'intention profonde de l'auteur ? L'oeuvre réellement parfaite est-elle possible ? La réponse est sans doute dans l'une des rigolotes digressions que Ware y a parsemé. Parce que oui, en plus, Jimmy Corrigan est souvent drôle. Décidément...

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