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  • : Le Massacre
  • : " On a qu'à appeler ça Le Massacre alors. " Mickaël Zielinski, Nicolas Lozzi, mai 2009.
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16 mars 2010 2 16 /03 /mars /2010 10:38
http://www.moutons-electriques.fr/images/couvertures/98.jpg

♦♦

Technique 

Esthétique 

Emotion ♦♦

Intellect  



Encore un volume piqué chez les Moutons électriques. C'était l'occasion pour moi de renouer avec le plaisir d'un roman au long cours, d'un texte volumineux et épais susceptible de m'emporter sur son souffle épique. J'en fais trop peut-être. Toujours est-il que l'éditeur me garantissait depuis longtemps la sublimosité de ce roman, écrit il y a en fait une grosse dizaine d'années par Terri Windling, éditrice et anthologiste américaine restée rare dans le domaine de la fiction. Ajoutez à cela une fantastique couverture – un tableau de Brian Froud qui a tout bonnement inspiré ce roman – et concluez-en ce que vous voulez.

 

Voici Maggie Black, ex-poétesse, la quarantaine crispée, fraîchement divorcée d'avec Nigel (entrepreneur musical mégalomane), qui se pique depuis quelques années d'écrire des articles et biographies de grands poètes contemporains. Justement, elle a reçu une étonnante nouvelle de la part d'un de ses favoris, Cooper, avec qui elle entretenait une abondante correspondance depuis des années : d'abord, il est mort ; ensuite, sa mort semble ne pas avoir été accidentelle (noyé en plein désert !) ; enfin, il lui a tout simplement légué sa maison près de Tucson, en plein désert de l'Arizona ! Triste mais enthousiaste à l'idée de pouvoir reconstituer la vie de ce grand artiste, elle saute sur l'occasion et part s'installer chez les péquenauds pour vivre les poèmes de Cooper "de l'intérieur", en communion avec le désert, et ainsi mieux les comprendre, le but final étant de rédiger une biographie du bonhomme. Son envahissant ex-mari ne peut pas s'empêcher de la traquer au moindre de ses déplacements, mais elle parvient néanmoins au bout de son idée et part à l'aventure.

 

On est, nous lecteur, aussi abasourdis qu'elle, je pense, lorsqu'on parvient aux alentours de Tucson. Les péquenauds attendus – un baroudeur nommé Johnny Foxxe, un couple d'artistes, l'une écrivain-imprimeuse, l'autre peintre, un autre couple de retraités vétérinaires, etc. – paraissent tous diablement cultivés, sympathiques et intelligents. Quand je dis cultivés, j'entends qu'ils sont capables de réciter du Neruda par coeur ou bien qu'ils connaissaient déjà les textes super confidentiels de la poétesse Maggie Black. Tout ceci justifié par le fait que Cooper, leur voisin depuis des lustres, les avait tous initiés aux arts étranges de la littérature. Comme au début du roman lorsqu'on nous annonce que l'ex-mari Nigel cartonne au Top 50 avec un groupe de... musique médiévale, on trouve la ficelle très grosse, et l'on s'étonne de cette efflorescence intellectuelle improbable dans la banlieue de Tucson... Mais enfin, tout est justifié, donc c'est d'accord.

 

On a l'impression de basculer dans l'imaginaire très lentement dans L'Épouse de bois, mais en réalité, on y est dès le début, ou presque. L'imaginaire convoqué est ici celui de l'animisme amérindien, et cela seul provoque un dépaysement bienvenu. Les coyotes, les oiseaux, les "saguaros" même (des cactus) semblent animés d'une volonté, du moins est-ce suggéré, et un parallèle est clairement établi entre le lieu (le désert) et l'apparence des phénomènes magiques (des animaux du désert, locaux). Plusieurs fois, on nous dit que les "esprits" qui s'agitent, les "mages" qui manigancent pourraient être appelés fées et lutins en Irlande par exemple. On nous laisse donc à penser que ces phénomènes, ces manifestations sont naturels et non fantastiques au sens d'horrifiques, également qu'ils se nourrissent partout dans le monde d'une source commune, puisqu'ils revêtent des apparences spécifiquement localisées géographiquement.

 

Cette source, c'est l'art. De la même façon que le roman tenu entre nos mains est un prolongement fantasmé d'un seul tableau (celui de Froud que nous voyons en couverture), les créatures mi-humaines mi-animales, pourvues d'une sourde force ou au contraire d'une fragile délicatesse sont des résultats des poèmes de Cooper, ou encore des peintures de sa défunte femme Anna Naverra, de quiconque en tout cas aura su transfigurer l'âme du désert. Le propos du livre est là : ce que l'artiste crée en poésie est parfaitement prégnant, se concrétise matériellement. Curieusement, la structure narrative du roman ne nous prépare absolument pas à ça : chaque chapitre suit un schéma parfaitement semblable du début à la fin, à savoir un démarrage avec point de vue du personnage principal (Maggie Black), puis un basculement souvent bien foutu vers le point de vue d'un personnage secondaire (Dora, Crow, Johnny, etc.), enfin un paragraphe détaché, rejeté en fin, qui adopte le point de vue d'une créature du désert (souvent une étrange "fille-lapin" que l'on aperçoit en couverture ; ce point-de-vue, auquel on ne s'attend jamais sauf si on est un lecteur obsessionnel qui repère les fins de chapitre à l'avance, surprend et provoque un étrange effet d'identification, lointain et distant). Sans oublier une lettre de Cooper comme annexée à chaque chapitre et qui nous renseigne toujours plus en profondeur sur la nature des phénomènes qui surviennent dans le désert (très joliment définis comme un mouvement perpétuel, une antithèse du figé, nommé dammas). Dans tous les cas, le merveilleux parait être rejeté de la diégèse, pas intégré structurellement aux actes des personnages. C'est surprenant, mais ça s'atténue vers la toute fin.

 

De façon caractéristique, L'Épouse de bois emprunte les mécanisme du réalisme magique américain sans jamais vouloir en faire véritablement (c'est d'ailleurs annoncé très clairement par le personnage principal au sujet de ses propres écrits). En effet, si chez Garcia Marquez par exemple c'est l'écriture qui crée le magique (la diégèse restant réaliste), ici c'est l'inverse : la narration reste (trop) sage et linéaire, et ce sont les péripéties assorties de quelques points de vue originaux qui se chargent du merveilleux. Voilà qui, à mon sens, empêche L'Épouse de bois d'être un grand roman : c'est un texte qui n'a pas voulu, ou pas pu, se confronter à la vraie beauté du genre qui est de mettre en étroite relation une écriture surréaliste avec une histoire naturaliste. Ainsi, on reste à l'état de joli roman plein de brillantes idées, mais au style pépère, dont le plaisir est freiné par une traduction parfois inspirée, parfois beaucoup moins. On songe brièvement à un Aegypt à la teneur bien moindre que le chef d'oeuvre de John Crowley. Pour autant, on garde l'impression d'un texte unique et inimitable qui aborde la fantasy par un angle rare et intéressant. C'est le traitement, simplement, sur lequel j'émettrais des réserves, non sur le plaisir ressenti à la lecture. Et je salue bien bas Misses Windling.
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commentaires

F
<br /> ce livre est vraiment merveilleuxxxxxxxxx<br /> <br /> <br />
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F
<br /> la couv est trop belle<br /> <br /> <br />
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