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Technique ♦♦♦♦
Esthétique ♦♦♦♦
Emotion ♦♦♦♦
Intellect ♦♦♦♦
Soit un nouvel adage biblique : un film diffusé sur TF1 voit son métrage allongé de 24 minutes, l'équivalent de deux coupures pub. Ca faisait bien longtemps que je n'avais pas regardé un programme Bouygues sur la chaîne de l'UMP, mais contrit par des forces supérieures - en effet j'avais pour mission de débusquer une proposition télévisuelle regardable tout en surfant entre les tunnels de séries du dimanche soir sur les chaînes du service public - je me suis affalé dans le canapé pour suivre au mieux Tom Hanks sur son île. Bon, ce n'est pas vrai en fait je cuisinais en même temps, mais promis, j'ai suivi du mieux que je pouvais et cette fois-ci je ne me suis pas endormi, mais ça a failli.
Tom Hanks, au début, n'est pas tout de suite sur son île : il est bien rasé, il n'a pas encore le regard triste, et il est gérant du développement de la superbe mécanique Fedex à l'étranger. Pour ceux qui ne sauraient pas, Fedex c'est un service de messagerie et de colis internationaux réputé pour sa fiabilité, sa rapidité et la dévotion de ses coursiers. Là, Tom Hanks est à Moscou : dans un entrepot lugubre, d'ailleurs je ne sais pas si c'est ma télé ou la photo du film qui est complètement foirée (je penche pour la deuxième hypothèse car je ne veux pas vexer ma télé) mais on y voit strictement rien, il coache par interprète interposé une bande de cons (normal : c'est des russes) pour faire pénétrer en eux le glorieux dévouement qu'ils doivent manifester envers l'entreprise. Il y a déjà plein de symboles : un chronomètre, une montre, un colis. Les trois premières minutes ressemble à une pub uncut pour Fedex. Sauf qu'à la fin, Tom Hanks se retrouve à Memphis à fêter Noël en famille (j'aimerais pas avoir la même, ils font tous des blagues sur Fedex !) monte dans un avion tout pourri pour faire une livraison, délaissant ainsi sa copine, Helen Hunt et sa gueule perpétuellement triste, qui lui offre une montre (symbole !). Mal lui en prit, zunic ! Après des complications, l'avion est pris dans une tempête d'orages qui font "zing" et "crac" pendant que Tom Hanks est aux toilettes. Le vieux coucou chute en piqué à 10 000 mètres d'altitude (venant ainsi quelque peu égratigner l'image de Fedex, dont on ne comprend pas bien le pourquoi de l'omniprésence) et s'écrase dans les flots, mais Tom survit en s'accrochant à un filet. Chance : il avait avec lui son gilet de sauvetage, qui est en fait un véritable petit canot pneumatique.
"Oui, Pierre Richard et Antoine ont été mes principales sources d'inspiration pour cette composition."
S'ensuit une improbable dérive sur les flots. C'est cataclysmique : le réacteur de l'avion explose, il y a des flaques d'huile enflammées partout, et même si on ne croit pas une seconde à la survie de Tom Hanks, on est prêt à assister de bon coeur à son accostage sur une île déserte. Problème : cette scène interminable est encore très mal éclairée, on ne comprend strictement rien à l'action et on accueille le débarquement et le retour du jour avec soulagement. Alors même que toute la réalisation du film repose sur la lumière, le défilement des jours et les changements climatiques étant prétextes à des jeux de montage qui suggèrent l'écoulement du temps et l'extrême solitude du personnage, la photo est ratée dans les grandes largeurs. Le défi du tournage (décor naturel et tous les inconvénients qui vont avec) n'est pas relevé, et il est palpable que certaines scènes ont dû être filmées en speed pour coller avec les raccords de lumière et l'imprévisibilité de la nature. La mise en scène est convenue, le scénario déroule : des restes de l'épave (des colis Fedex !) échouent sur la plage, Tom Hanks (qui a dû payer de sa personne) aborde son difficile apprentissage de la robinsonnade, se démerde comme il peut avec les quelques objets à sa disposition (des patins à glace, des vêtements, etc.), passe par toutes les étapes de l'hominisation (tailler une pierre, faire du feu, apprendre à pêcher...). Le plus drôle, c'est incontestablement son rapport amical et fusionnel avec un ballon de volley (l'inénarrable Wilson !), seule bouée de sauvetage sociale disponible sur les lieux.
Tom Hanks fait le compte de tous les clichés qui émaillent sa dernière méga-production. On en est déjà à 12. Ou alors il tient un calendrier très bizarre avec des semaines de 5 jours.
Zemeckis, franchement, et contrairement à beaucoup de cinéphiles, je l'ai à la bonne. Même s'il est incontestablement un sous-Spielberg moralisateur et que ses films ne s'embarrasent guère de forme, il dégage une sorte d'enthousiasme, de croyance démente en ce qu'il fait, qui rend ses oeuvres sympathiques, faute de mieux. Après avoir conduit jusqu'au bout une trilogie pour geeks de SF (Retour vers le futur, que j'adore malgré des morales de fin très douteuses) et revisité l'histoire des Etats-Unis avec un crétin champion de tennis de table (Forrest Gump, pas mal aussi malgré son illisibilité politique), gros succès à la clé, voilà que le nouveau millénaire lui inspire une réadaptation de Robinson Crusoé. Le seul intérêt est bien évidemment d'actualiser le roman de Daniel Defoe, écrit au début du XVIIIe siècle : mais, à part le ballon de volley, bien trop peu de choses viennent enrichir le synopsis de départ. Zemeckis, qui au départ est scénariste, s'est fait une spécialité des symboles éparpillés se répondant les uns aux autres tout le long du métrage (ils pullulent dans Forrest Gump : la plume, les chaussures, les chocolats, il faudrait un inventaire complet !). D'un exercice d'ores et déjà laborieux et lassant pour le spectateur, il arrive à faire un véritable calvaire dans Seul au monde : parvenir à symboliser la persévérance du personnage par un colis Fedex avec un dessin d'ailes dorées étiquetées, puis sa dévotion par la sempiternelle photo-de-l'être-aimé-dans-une-montre-à-gousset, cela tient de l'enfonçage de portes ouvertes au marteau-piqueur. On était habitué à ses morales à deux balles (ici : persévérer à vivre, c'est permettre l'accomplissement de son destin, ouaiiii), mais ici le vernis de gadgets potaches n'est pas assez épais pour rendre le film regardable. En plus, je l'ai déjà dit, la photo atroce provoque un montage énervant, les scènes expédiées succédant à des (petits) plans-séquence voués à rajouter du métrage, ou alors parce que ça fait "auteur", mais quand le plan est laid, ça ne sert à rien !
Comme pour en rajouter une couche, Tom Hanks est enfin découvert par un cargo au bout d'une heure et demi, et on se dit "allez, salut les gars, on se quitte bons copains". Mais non, il reste presque une heure, oui une heure de film ! Des tunnels de dialogues en gros plan, de retrouvailles incompréhensibles, avec une photo (c'est un exploit) toujours aussi illisible, un cadrage absent, un scénario qui ne sait plus comment se terminer (la pirouette moralisante finale est éloquente, je vous laisse la découvrir). Une jolie scène à sauver dans tout ça, celle du banquet où il se retrouve seul avec des sushis, et encore... Nous tînmes vaillamment jusqu'à la fin, et de ce film je ne garderai qu'une seule promesse : celle de ne jamais utiliser Fedex comme boîte de messagerie, et de m'acheter un ballon de volley-ball pour discuter quand je me sens seul.